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mardi 18 août 2015

AU RYTHME DE LA CUMBIA, LA BANDA EN FLOR S’ATTAQUE AUX INÉGALITÉS SEXUELLES AU CHILI

Le sourire aux lèvres et leurs instruments en main, les musiciennes joyeuses et colorées envahissent la petite scène. Le saxo, le trombone, les congas, le clavier, la batterie… Les jeunes femmes débordantes d’énergie s’installent. Les applaudissements fusent. C’est parti pour une heure et demi de danse et de musique endiablées.

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 LA BANDA EN FLOR, LORS DE LEUR PASSAGE À PARIS. PHOTO FLORENCIA VALDÉS ANDINO
Avec des titres comme « No le pegue a esa mujer » (Ne battez pas cette femme) ou « Ríos de Chile» (Les rivières du Chili), elles appuient là où ça fait mal. Tout en dansant, elles dénoncent les maux de leur pays : les discriminations, la violence faite aux femmes, la destruction de l’environnement, la corruption de la classe politique. Tout y passe. Même quand l’ambassadeur chilien à Paris est dans la salle. « Nous ne faisons aucune concession », diront-elles plus tard.

« Les mains en l’air. Les mains en l’air. », s’époumone en français Macarena Arias, la chanteuse principale du groupe. Le public s’exécute et se déhanche au rythme des congas de Kimberly Richards. Transportée par les notes effrénées de la cumbia, la salle est en nage. La cumbia, musique et danse métis, est née au XVIIe siècle en Colombie, sous l'impulsion des esclaves africains de cette région, avec d'abord il y des tambours auxquels les Indiens des Antilles ont ajouté ocarinas, flûtes de roseau et gaïtas (sorte de longues flûtes indiennes), avant de se mélanger aux mélodies "indigènes". Les sonorités teintées de cuivres se répandent, depuis, dans toute l’Amérique du sud, sous des formes différentes. Voilà quelques années, elle a gagné les couches populaires chiliennes pour devenir ensuite une sorte d’hymne national.

C’est d’ailleurs pour ces raisons que La Banda en Flor a choisi ces rythmes, il y a sept ans. « C’est une musique très accessible, de masse. Il est donc plus simple de faire passer un message politique ou social. Nous faisons de la cumbia ‘consciente’ », affirme Carola Zúniga, l’une des fondatrices de la bande.
« Nous ne sommes pas sur scène pour montrer nos fesses »
Au départ, faire de la cumbia «  politique » n’était qu’une lubie. Mais peu à peu elles ont réussi à s’imposer dans un monde qui reste très masculin. Pour évoquer leurs débuts, leurs luttes et la condition des femmes chiliennes, nous les retrouvons quelques jours après le concert dans une maison à Montreuil, dans la banlieue parisienne. Une bâtisse à leur image, colorée et éclectique, que les musiciennes occupent par intermittence le temps de leur tournée française estivale.




Tee-shirt échancré et eye-liner prononcé, Carola Zúniga sourit quand elle raconte la genèse du projet : « Nous avions envie de monter un groupe original pour dire tout ce que nous avions dans le cœur. Ce n’est pas facile car nous sommes la première bande 100% féminine de cumbia du pays. Même si nous sommes toujours plutôt bien reçues, certains pensent que nous montons sur scène pour danser ou montrer nos fesses. Il est difficile d’asseoir sa légitimité car les groupes comme les nôtres sont toujours masculins. Mais c’est difficile pour toutes les femmes de s’imposer dans n’importe quel métier ».

Si les sept musiciennes sont extrêmement attachées à ce genre tropical, elles n’hésitent pas à en faire une parodie en transformant les mélodies sirupeuses de leurs collègues en pamphlets.  « Notre engagement  est quelque chose qui nous relie et que nous portons en nous, ajoute Carola, la musique est notre passion. Pour nous c’est évident de mélanger les deux. »

Coupe iroquoise et rouge-à-lèvre foncé, Macarena Arias, la chanteuse principale, raconte qu’en tant que femmes, elles ont décidé de ne plus se laisser faire et de devenir les porte-parole d’une société en crise : «Après la dictature militaire (1973-1990 NDLR), les Chiliens ont gardé l’habitude de se taire. Mais aujourd’hui tout ça est en train de changer. Des scandales de corruption visant la droite comme la gauche, au pouvoir, viennent d’éclater. Les étudiants manifestent sans relâche pour une éducation plus accessible et moins élitiste... Nous voulons être comme un haut parleur pour que toutes les revendications sociales résonnent plus fort. D’autant plus que nous commençons à avoir la chance de partir à l’étranger et de porter ces messages au-delà de nos frontières ».

« Défense de l’environnement et cosmogonie aimara  »
Les musiciennes signalent qu’elles sont engagées par des élus de tous bords politiques pour jouer dans leurs communes « en toute connaissance de cause ». Certains les félicitent même de dénoncer sans ménagement le système corrompu des élites dont fait partie Michelle Bachelet. Le retour de la socialiste au pouvoir en 2014 devait marquer un changement radical : une société plus égalitaire et une gestion plus transparente. Des promesses que la première femme présidente du pays n’a pas encore tenues. La déception est grande « chez ceux qui croient aux valeurs de la gauche ». Et cela se ressent dans des chansons comme Aguanta Maipo ( Tiens bon Maipo).

Avec ce morceau, les artistes fustigent un projet hydroélectrique dans le parc naturel du Cajón del Maipo - poumon de la capitale Santiago -, soutenu par le gouvernement chilien. Même si ce dernier le nie, la mise en route de ce barrage aura des impacts dévastateurs sur l’environnement et remettra en question l’approvisionnement en eau de la capitale chilienne. Les opposants à ce projet dénoncent avant tout la proximité entre la présidente Bachelet et les promoteurs du barrage.
« Nous faisons partie de la nature, celle-ci ne nous appartient pas »
Indignée, Priscila Rubio (claviers) agite ses bras tatoués : « Comment peut-on penser que les choses peuvent changer alors que la Constitution dont on a hérité de la dictature est encore en vigueur et n’est pas prête d’être modifiée ! ».

La conscience écologique de la bande va de paire avec l’attention qu’elles portent aux problématiques des peuples indigènes Mapuches et Aimaras discriminés et constamment pillés. « Nous aimerions que leur philosophie soit entendue. Pour eux, nous faisons partie de la nature, celle-ci ne nous appartient pas. Dans l’affaire du Cajón del Maipo c’est plus vrai que jamais »,  assure Fernanda Arias, saxophoniste de la bande depuis cinq ans.  

Donner du courage aux femmes

Les sept filles aussi pétillantes que réfléchies sont de tous les combats. Mais celui qui leur tient le plus à coeur est celui de la conquête de l’égalité entre femmes et hommes.

«Quand je regarde les féminicides perpétrés et le nombre de violences faites aux femmes, je me dis qu’on est encore à l’âge de pierre au Chili, s’emporte Kimberly Richards. La dépénalisation de l’avortement (le Chili est l'un des pays les plus sévères au monde sur cette question, ndlr) est au point mort et de nombreuses femmes continuent à penser que leur seul rôle dans la société est celui de rester à la maison pour prendre soin des enfants. Nous-mêmes avons été souvent victimes de sexisme, ici en France aussi. Ce qui prouve qu’il y a encore du boulot. »

« Et pourtant, nuance Priscila, une loi sur l’union civile vient d’être approuvée au Chili, le mariage religieux est de moins en moins sacralisé, les femmes osent de plus en plus dénoncer les viols et les jeunes filles ne se marient plus juste parce qu’elles sont tombées enceintes. »

Un pas en avant et deux pas en arrière, résument les musiciennes pour qui la lutte contre le sexisme est indissociable de la lutte contre l’homophobie. Avec la chanson Abre tu corazón (Ouvre ton cœur), elles critiquent l’hypocrisie de la société chilienne qui se dit tolérante alors qu’elle ne supporte pas de voir deux hommes ou deux femmes s’embrasser.

Les musiciennes racontent que cette chanson est celle qui choque le plus dans leur répertoire. Mais elles s’en félicitent, puisqu’elles cherchent à éveiller les consciences « même si c’est dérangeant ».  Si elles font un portrait sombre de "leur" Chili, leur optimisme est à toute épreuve et elles sont convaincues que millimètre par millimètre les choses vont bouger.




« Nous sommes la preuve vivante qu’en tant que femmes nous pouvons atteindre nos objectifs si nous surmontons nos peurs. Avec beaucoup de débrouille nous avons réussi à percer dans un milieu masculin, nous nous auto-gérons, nous avons remporté un concours pour pouvoir faire une tournée en France et en Europe. Bref, La Banda en flor souhaite être un soutien joyeux pour toutes les femmes. Nous sommes là pour proclamer ce que certaines n’osent pas dire, et pour exiger avant tout le respect vis-à-vis de nous toutes », s’enthousiasme Macarena avec cette voix suave qui la caractérise. Nombreuses sont les femmes qui ont déjà entendu le message et qui viennent les voir après un spectacle pour leur dire tout simplement « merci ».

Le premier album de La Banda en Flor, No le pegue a esa mujer, est en libre téléchargement sur leur site. Elles sont actuellement en promotion  pour leur deuxième album sorti en 2014, Ahora es cuando. Un retour en France l’année prochaine est fortement envisagé.