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jeudi 21 mai 2015

CHILI - « EN CETTE HEURE HISTORIQUE DE L’ÉGLISE CHILIENNE »

Alors que les crises auxquelles est confrontée l’Église chilienne se sont multipliées ces derniers mois, une série de laïcs ont pris position dans cette déclaration publique, diffusée sur le site de Reflexión y Liberación, le 14 avril 2015.

Allez de par le monde, annoncez la Bonne Nouvelle… (Mc. 16, 9-15)

En tant que personnes responsables et en conscience, nous adhérons pleinement aux paroles du Pape François exprimées avec sagesse dans son premier écrit officiel, qui remarquent que l’Église ne peut pas continuer dans son état actuel : « je souhaite que toutes les communautés s’efforcent de mettre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut pas laisser les choses dans l’état où elles sont. » (EG 25), nous voyons que cette réflexion claire entre en conflit avec divers événements qui touchent, douloureusement, notre Église catholique chilienne.

JOSÉ ALDUNATE SJ, MARIANO PUGA ET FELIPE BERRÍOS SJ. 


En octobre 2014 on a appris que trois éminents prêtres chiliens faisaient l’objet d’une procédure secrète d’investigation canonique. L’accusation anonyme concernait José Aldunate SJ, Mariano Puga et Felipe Berríos SJ. Le fait éveilla l’indignation sociale et il se développa alors une campagne inédite de solidarité et de reconnaissance publique envers ces trois témoins exemplaires de l’Évangile. Les autorités ecclésiastiques ont refusé d’assumer toute responsabilité et le nonce Ivo Scapolo et le cardinal Ricardo Ezzati en vinrent à s’accuser publiquement et réciproquement.

Le fait mettait en évidence un certain manque de liberté de pensée et d’action à l’intérieur de l’Église, portant ainsi atteinte aux droits fondamentaux. Non sans stupeur et incrédulité on constatait qu’au XXIe siècle encore « [e]xistent des violations des droits humains à l’intérieur de l’Église » (Église : charisme et pouvoir. L. Boff). Cela en dépit des déclarations du magistère : « L’Église reconnaît à tous le droit à une liberté d’expression et de pensée opportune, ce qui suppose également le droit à ce que chacun soit écouté dans un esprit de dialogue qui maintienne à l’intérieur de l’Église une légitime diversité. » (La justice dans le monde. Synode des évêques. Rome 1971).

Récemment on a appris avec perplexité que l’archevêque de Santiago, le Cardinal Ricardo Essati Andrello, avait notifié à l’excellent théologien Jorge Costadoat SJ que la mission canonique d’enseignement à la Faculté de théologie de l’Université catholique ne serait pas reconduite. À ce jour aucune raison valable, propre à justifier une sanction aussi sévère à l’encontre d’un théologien réputé et reconnu à un niveau international, n’est indiquée dans la décision. Cette mesure porte atteinte au statut de la liberté théologique et constitue une mesure d’intimidation à l’égard des penseurs et chercheurs qui se consacrent à servir l’Église aux frontières de la pensée théologique. Apparaît ici une preuve irréfutable de l’atteinte à un droit fondamental de la personne humaine, qui, de surcroît, constitue une entrave à la liberté de l’enseignement universitaire.

En plein XXIe siècle, il n’y a pas de place dans l’Église pour ce type de répression, d’autant plus que le Pape François lui-même réclame dialogue, clémence et capacité d’écoute à l’égard de tous dans la communauté chrétienne. En outre, son appel à « ouvrir des débats » et à construire une « Église pauvre pour les pauvres » nous interpelle.

À ces très graves événements viennent s’ajouter la nomination imposée Juan Barros en tant qu’évêque du Diocèse d’Osorno, caractérisée par l’absence de dialogue avec l’Église peuple de Dieu, ainsi que la compromission ou complicité d’une proportion importante du clergé national dans des délits d’abus sexuels sur des mineurs. Ces événements expliquent la dramatique détérioration de la crédibilité et de la confiance que les citoyens chiliens accordent à l’Église catholique. En effet, selon l’enquête d’opinion « Imaginacción - Universidad Central », rendue publique le 31 mars 2015, 73,3% des citoyens a « peu ou pas confiance en l’Église catholique chilienne ». Cela ne peut laisser personne indifférent.

La gravité de cette situation, qui compromet sérieusement la mission évangélisatrice de l’Église a été portée à la connaissance de la hiérarchie de l’Église chilienne et de l’Église universelle, de façon responsable, par les laïques chiliens, sans recevoir quelque réponse que ce soit. Nous n’avons pas été écouté du fait d’une absence de dialogue et d’une bureaucratie ecclésiastique excessive. Notre hiérarchie a très peu intégré l’appel du Pape François lorsqu’il remarque : « Il est vrai que, dans notre relation au monde, nous sommes invités à expliciter les raisons de notre espérance, mais pas comme des ennemis qui dénoncent et condamnent… Il est clair que Jésus Christ ne nous veut pas semblables à des princes qui toisent avec mépris, mais à des hommes et des femmes du peuple. Et ce n’est pas là l’opinion d’un Pape ni une option pastorale parmi d’autres possibles ; ce sont des indications, si claires, directes et sans ambiguïté qu’elles n’ont pas besoin d’interprétations qui leur enlèvent de leur force d’interpellation, que donne la Parole de Dieu. Vivons-les « sine glossa », sans commentaires » (EG 271).

En cette heure historique de l’Église au Chili, qui se caractérise par la présence d’une grave crise de compréhension et de crédibilité, qui affecte l’ensemble de la structure ecclésiastique de notre pays, nous voyons à l’origine de cela des signes clairs d’abus de pouvoir clérical. Nous proposons comme voie de retour à une Église authentique de communion et de participation d’entamer un débat ouvert et respectueux, qui prenne en compte les sept critères qu’en son temps avait proposé le théologien et missionnaire José Comblin :

1.- Respecter le service des laïques, fondé sur les charismes et dons spirituels reçus, en reconnaissant la fécondité et la co-responsabilité de leur service apostolique. 
2.- Dans toutes les instances, du concile œcuménique jusqu’aux conseils paroissiaux, les laïques doivent avoir une voix délibérative et un pouvoir de décision, en collaboration avec le clergé, sur ce qui touche aux questions de doctrine qui les concernent directement. 

3.- Les voix des laïques doivent être prises en compte dans les élections à tous les niveaux, de l’élection du Pape aux élections des évêques et curés. 

4.- Les laïques doivent avoir voix délibérative sur ce qui touche à la liturgie, à la catéchèse et à l’organisation de l’Église. 

5.- Reconnaître que le pouvoir ne peut pas être concentré entre les mains d’une seule personne dans aucune des instances ecclésiastiques.

6.- Agir avec transparence dans les décisions ecclésiastiques, en évitant toute culture du secret et toute utilisation d’information privilégiée, en particulier en ce qui concerne les nominations, l’administration économique et la planification pastorale. 

7.- Il est nécessaire de créer une instance juridique indépendante, auprès de laquelle les chrétiens qui se sentent victimes d’injustices et d’abus de la part d’ecclésiastiques puissent chercher recours en liberté et sécurité pour que justice leur soit faite et pour que leurs droits soient adéquatement protégés. Actuellement un laïque ne peut pas se défendre face au clergé ou aux religieux, les religieuses ne peuvent se défendre face au clergé ; les prêtres ne peuvent se défendre face à l’évêque, et les évêques ne peuvent se défendre face au Pape.

Nous appelons l’épiscopat chilien à témoigner publiquement d’une véritable conversion pastorale, dans l’esprit des paroles du Pape François : « L’évêque doit toujours fomenter la communion missionnaire dans son Église diocésaine selon l’idéal des premières communautés chrétiennes, dans lesquelles les croyants ne faisaient qu’un seul cœur et une seule âme. (cf. Hch 4,32). À cette fin , il se trouvera parfois à l’avant pour indiquer le chemin et soutenir l’espérance du peuple, d’autres fois, il sera simplement au milieu de tous dans une proximité humble et miséricordieuse, et, en certaines occasions, il devra cheminer derrière le peuple pour aider les retardataires, et, surtout, parce que le troupeau a de lui-même le flair de trouver des chemins nouveaux. Dans cette mission d’encouragement d’une communion dynamique, ouverte et missionnaire, il devra encourager et aider à mûrir les mécanismes de participation que propose le Code de droit canon et d’autres formes de dialogue pastoral, guidé par le désir d’écouter tout le monde et pas seulement une minorité qui flatte son oreille. » (EG 31)

Marta Cruz Coke
Mónica Echeverría
María Jesús Martínez
Isabel Margarita Morel
Andrés Aylwin A.
Juan Subercaseaux A.
Juan Carlos Navarrete M.
Claudia Rozas G.
Alfredo Barahona
Juan Carlos Claret P.
Roberto Celedón
Matilde Chonchol
Jaime Escobar M.
Marco Antonio Velásquez

Samedi de l’Octave de Pâques.

Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
Source (espagnol) : Reflexión y Liberación, 14 avril 2015.