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lundi 4 février 2013

AVEC STALINGRAD, LA SECONDE GUERRE MONDIALE BASCULE

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LA FONTAINE DE STALINGRAD. 23 AOÛT 1942 À STALINGRAD, APRÈS UNE ATTAQUE AÉRIENNE MASSIVE DE LA FLOTTE ALLEMANDE. PHOTOGRAPHIE EMMANUEL EVZERIKHINE

Les trois raisons de la victoire

À ce tournant de l’histoire, l’URSS a tout juste achevé la reconversion de son économie de guerre après avoir replié vers l’est 1 360 usines : fin 1942, la production industrielle de l’Oural a été multipliée par cinq et plus encore celle de la Sibérie. Si le nombre d’ouvriers a baissé de 10 %, la productivité du travail a crû de 40 % : la journée de travail est passée de huit à douze heures, six jours sur sept. L’URSS produit déjà deux fois plus de chars et quatre fois plus de canons que l’Allemagne. L’aide alliée est encore aléatoire : les livraisons américaines ont été interrompues de juillet à octobre. À Stalingrad, si l’Armée rouge a une nette supériorité en artillerie, elle n’aligne guère plus de chars que la Wehrmacht (790 contre 770) et moins d’avions que la Luftwaffe (1 035 contre 1 066). Mais cet armement est de bonne qualité : le char léger T 34 s’impose déjà face au « Tiger » allemand. Stalingrad n’est cependant pas une victoire du matériel comme le sera la gigantesque bataille de chars de Koursk en juillet 1943.


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UN SOLDAT SOVIÉTIQUE HISSE VICTORIEUSEMENT UN DRAPEAU  SUR LA PLACE CENTRALE DE STALINGRAD STALINGRAD EN FÉVRIER 1943.

La victoire de Stalingrad est en effet le fruit d’une mobilisation humaine exceptionnelle. Dès septembre 1941, pour compenser les immenses pertes en hommes, le Conseil d’État pour la défense, présidé par Staline, a lancé un vaste plan d’instruction militaire générale qui allait former sept millions de soldats en trois ans. Les généraux de l’état-major ont restauré leur autorité et l’unité de commandement avec la suppression des commissaires politiques aux armées rendus responsables des échecs antérieurs. Joukov persuade Staline de regrouper le maximum de forces à Stalingrad et l’Armée rouge réussit à y aligner, en novembre 1942, 854 000 recrues face aux 846 000 soldats des forces de l’Axe (deux tiers d’Allemands plus des Roumains et des Italiens).

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LE CENTRE DE STALINGRAD APRÈS LIBÉRATION, LE 2 FÉVRIER 1943

La mobilisation de nouveaux soldats compliquait pourtant le problème de la main-d’œuvre ouvrière et paysanne. Dès février 1942, 830 000 adolescents scolarisés ont été versés dans les usines pour être rapidement formés comme ouvriers qualifiés par des spécialistes démobilisés. Pour les autres travaux, il est fait appel massivement aux femmes, aux vieux et aux détenus. C’est toute la population urbaine, puis rurale, qui est mobilisée. À Stalingrad, les comités locaux du Parti ont levé une immense milice populaire pour édifier des lignes de fortification alors que les usines produisaient sans relâche armes et munitions et que des groupes de partisans coupaient les lignes de ravitaillement trop étirées des envahisseurs à l’arrière du front. Stalingrad n’est pas qu’une victoire de militaires.

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LES BRUTALES CONDITIONS DE BATAILLE ONT ÉTÉ RENFORCÉES PAR L'HIVER RUSSE .
Stalingrad s’explique encore par la démoralisation des forces de l’Axe et la sacralisation de l’amour de la patrie pour les Soviétiques. Les lettres des soldats encerclés ou les mémoires des officiers allemands révèlent combien brutale fut pour eux la découverte de l’aveuglement d’Hitler et de l’absurdité de ses ordres de mourir sur place plutôt que de capituler : « Nous sommes tout seuls, sans aucune aide. Hitler nous laisse tomber », écrit l’un deux. Les Italiens et les Roumains repliés derrière le Don sont encore plus démotivés.


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UN AVION DE CHASSE ALLEMAND ABATTU EST COUCHÉ PARMI LES RUINES DE STALINGRAD. 

Par contre, Staline ne cesse d’exalter la « guerre sacrée » et d’inviter tout le peuple soviétique au sacrifice commun. La guerre est sacrée parce qu’elle est une guerre juste de défense de la patrie et de libération de la terre des ancêtres. Le 22 décembre 1942, un nouvel hymne national remplace l’Internationale. La guerre est sacrée aussi parce qu’elle permet la réconciliation de l’Église orthodoxe et de l’État soviétique. Le 7 novembre 1942, le métropolite Serge s’adresse à Staline : « Au nom du clergé et de tous les fidèles de l’Église orthodoxe, fidèles enfants de notre patrie, je salue en votre personne le chef choisi par Dieu de toutes nos forces civiles et militaires, qui nous conduit à la victoire sur les envahisseurs barbares, à la prospérité dans la paix de notre pays, et à l’avenir radieux de ses peuples. »

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BEAUCOUP D'ALLEMANDS ONT PRÉFÉRÉ SE BATTRE JUSQU'AU BOUT PLUTÔT QUE LA REDDITION AUX FORCES SOVIÉTIQUES.
La guerre est certes encore présentée comme une guerre du droit contre le « fascisme », pour la démocratie et le socialisme, mais, par une série de glissements progressifs, la guerre est vécue comme la communion des patriotes russes, des citoyens des autres peuples soviétiques et des communistes de toutes générations, tous « frères et sœurs » aux yeux de Staline depuis son premier discours à la radio le 3 juillet 1941. Jamais le peuple soviétique n’a été aussi uni derrière son chef charismatique.


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Les conséquences de Stalingrad

Alors qu’Hitler décrète trois jours de deuil national en Allemagne, les Alliés, les résistants et les communistes du monde entier témoignent de leur reconnaissance au peuple soviétique. Bien avant la victoire, l’Humanité clandestine salue l’Armée rouge et appelle tous les résistants à l’unité et à l’action. Désormais l’espoir a changé de camp.


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La coalition des Nations unies en est renforcée. Le 21 février, le roi George VI d’Angleterre déclare que « la ferme résistance de Stalingrad a changé le cours des événements » et offre une épée d’honneur à la ville héroïque en témoignage de l’admiration « de tout le monde civilisé ». Le président Roosevelt salue ses « valeureux défenseurs » dont « la victoire glorieuse a représenté un tournant dans la guerre des nations alliées contre les forces de l’oppression ». Stalingrad soude plus que jamais les Alliés jusqu’à Yalta. 


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En position de force, Staline se permet de faire quelques concessions diplomatiques. Après l’opération « Torch » en Afrique du Nord, il ne réclame plus aussi fortement l’ouverture d’un second front en Europe, et il ne dénonce pas encore le danger d’une paix séparée à l’Ouest. L’essentiel est alors pour lui d’obtenir le plus d’aide matérielle possible car l’URSS continuera longtemps à supporter l’essentiel du poids de la guerre contre l’Allemagne nazie. Mais s’il s’est engagé à dissoudre officiellement l’Internationale communiste, c’est moins pour rassurer ses alliés sur les objectifs des Partis communistes européens que pour ne pas cautionner la stratégie politique de Tito en Yougoslavie.


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Stalingrad a eu cependant des effets ambivalents à moyen terme. Staline s’est attribué tous les mérites de Joukov et sera gratifié du titre de « plus grand stratège de tous les temps » et de « guide suprême ». Le culte de sa personnalité prend des dimensions inimaginables masquant sa responsabilité dans la désorganisation de l’armée depuis 1937 et les désastres de 1941. Khrouchtchev, dernier commissaire politique à Stalingrad, lui en fera reproche en 1956.


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Staline n’a pas compris les véritables raisons des succès de l’économie de guerre soviétique manifestes dès Stalingrad. Voznessenski, le président du Gosplan depuis 1938, avait mis en œuvre la décentralisation des décisions, les relations directes entre entreprises, la mobilisation morale des ouvriers, le développement de la production familiale dans les campagnes. Dès 1945, il s’opposa au retour aux plans quinquennaux bureaucratiques d’avant-guerre, mais il sera condamné et exécuté en 1948. Staline et les militaires imposeront à nouveau une priorité absolue à l’industrie lourde au nom de la défense du camp socialiste et de la « mémoire de Stalingrad ».


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LE COMMISSAIRE POLITIQUE NIKITA KHRUSCHEV (À GAUCHE) DISCUTE LA TACTIQUE AVEC LE GÉNÉRAL ANDREI YERYOMENKO (DEUXIÈME À GAUCHE), COMMANDANT DU FRONT SUD-EST  DE L'ARMÉE ROUGE À STALINGRAD ET D'AUTRES OFFICIERS.
ce qu’écrivait l’humanité clandestine n° 200, 21 janvier 1943 (extraits) Grande victoire soviétique sur tout le front de l’estLes troupes soviétiques ont pris Schlusselbourg, mettant ainsi fin au siège de Leningrad (1), quelques jours avant la commémoration de la mort du grand Lénine. L’Armée rouge continue à avancer dans le Caucase (et) dans la région du Don moyen… Devant Stalingrad, la VIe armée hitlérienne est en voie d’anéantissement ; sur 200 000 hommes, il n’en reste plus que 70 000, un butin énorme a été capturé, le dernier aérodrome des nazis a été occupé…
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Partout, l’Armée rouge, sous la conduite de notre grand camarade Staline, est passée à l’offensive et devant les exploits de cette héroïque armée qui, le 23 février prochain, célébrera son 25e anniversaire, des millions d’hommes de tous les pays crient avec enthousiasme et confiance : Vive la glorieuse et héroïque Armée rouge ! Vive le grand Staline !

(1) Il faudra attendre, en fait, le 27 janvier 1944.



Jean-Paul Scot, historien