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dimanche 9 décembre 2012

8 DÉCEMBRE 1863. MARIE LAISSE GRILLER 2500 DE SES FIDÈLES DANS UNE ÉGLISE DE SANTIAGO DU CHILI.

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« L'INCENDIE DE L'ÉGLISE DE LA COMPAGNIE DE JESÚS » LE 8 DÉCEMBRE 1863 À SANTIAGO DU CHILI. GRAVURE  D'ERNEST CHARTON DE TREVILLE

Une grande flamme jaillit

C'est qu'Ugarte, à qui on avait rapporté des paroles du nonce Eisaguirre disant que les illuminations de son église ne pouvaient pas être comparées à celles de Rome, avait voulu relever le défi. « Quand il viendra prêcher, je lui offrirai une illumination encore jamais vue dans le monde ! » Des draperies de gaze et de mousseline décorent les murs et le plafond, jouxtant des milliers de rubans et de fleurs en papier. En comparaison, le dancing Le 5-7 (dont l'incendie, le 1er novembre 1970, a fait 146 morts en Isère) était un exemple d'établissement ignifugé...

La plupart des femmes sont à genoux. Sous la statue de la Vierge qui orne l'autel principal, des assistants ont allumé un candélabre en forme de demi-lune rempli de paraffine liquide. Juste avant 19 heures, une grande flamme jaillit, qu'un préposé tente aussitôt d'étouffer avec son poncho, mais l'huile imbibe le tissu qui s'enflamme à son tour. En un instant, la flamme saute sur une guirlande de fleurs artificielles avant de se propager jusqu'au toit. L'immense coupole décorée s'embrase, les centaines de lampes accrochées au plafond par des ficelles s'abattent et explosent sur les milliers de femmes agenouillées. Absorbée par Plus belle la vie sur France 3, la Vierge Marie n'entend pas les cris d'horreur de ses adoratrices.

« Mourez heureuses »

Dès les premiers signes de la catastrophe, Ugarte et tous les autres prêtres s'enfuient par une petite porte menant à la sacristie. Ils prennent soin de la fermer derrière eux afin de mettre à l'abri les précieux objets du culte entreposés là. À aucun moment, ils ne se préoccupent des fidèles en train de griller. Des centaines auraient pu survivre en s'échappant par le même chemin. Avant de disparaître, Ugarte prend quand même le temps de réconforter quelques femmes qui s'accrochent à lui : « Mourez heureuses, car vous irez directement jusqu'à Marie. » Il ajoute : « Le Chili avait besoin d'un supplément de saints et de martyrs. » À l'entendre, elles font œuvre pieuse en grillant. 

Rapidement, le feu dévore le millier de femmes engoncées dans d'encombrants vêtements qui ralentissent leurs mouvements. Une immense clameur s'échappe de 3 000 gosiers affolés. La foule se rue sur les portes latérales pour fuir le brasier, mais plusieurs sont fermées. Impossible de les ouvrir, car la masse humaine pèse sur les battants qui s'ouvrent vers l'intérieur. On meurt piétiné, étouffé, asphyxié.

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LES RUINES DE L'ÉGLISE DE LA COMPAGNIE DE JESUS, SUITE AU GRAND INCENDIE DU 8 DÉCEMBRE 1863 À SANTIAGO DU CHILI. IN « QUINZE ANS EN AMÉRIQUE DU SUD AUX BORDS DE L'OCEAN PACIFIQUE / LE VU ET ÉPROUVÉ DE PAUL TREUTLER... » LEIPZIG, WELT POST, 1882.
Monstrueuse mêlée

Ceux qui se précipitent vers l'entrée principale se heurtent aux fidèles encore dehors qui, n'ayant pas vu l'incendie, se battent pour pénétrer dans l'église. C'est une monstrueuse mêlée. Les corps s'agrippent, s'entremêlent, se piétinent, s'étouffent. À l'intérieur de l'édifice, le diable est à son affaire. Les mères entourent leurs enfants pour faire un bouclier de leur corps. Les chairs brûlent, se carbonisent. Les gorges se remplissent de fumée. Les yeux sont exorbités, les bras se tendent vers le ciel en espérant un miracle. C'est l'enfer, en pire. Une jeune fille nommée Solar, se sentant condamnée, a la présence d'esprit d'attacher son mouchoir solidement autour d'un genou. Sage précaution, car le lendemain, son nom brodé sur le tissu permettra de l'identifier malgré son visage totalement carbonisé.

Autour de l'église, c'est la consternation parmi les milliers de fidèles qui sont restés dehors. La ville ne compte pas vraiment de pompiers ; la prière est l'unique recours. Quelques Américains de passage dans la capitale pénètrent dans le bâtiment au péril de leur vie. Ils tentent d'arracher des femmes, des enfants à la masse humaine. Mais dès qu'ils s'approchent, des dizaines de bras s'accrochent à eux, rendant tout sauvetage quasi impossible. Bientôt, l'armée arrive sur place, mais au lieu de se battre contre le feu, elle constitue un cordon autour de l'église pour empêcher les sauveteurs improvisés de se jeter dans le foyer. Un Américain est même blessé à la baïonnette. Vers 22 heures, le clocher en bois s'abat sur la nef, tuant les ultimes survivants.


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« CLOCHE DE L'ÉGLISE DE LA COMPAGNIE DE JESÚS », CONSTRUITE EN 1753 EN ESPAGNE. ELLE SE TROUVE AU  SOL, SUITE À L'INCENDIE DE L'ÉGLISE

2 500 morts

Les rues avoisinantes sont remplies de morts et de mourants. Des centaines de personnes courent dans tous les sens, tentant de retrouver parmi les corps qui une épouse, qui une fille. D'autres sont à genoux pour prier Dieu. Tous les médecins de la ville ont rappliqué. Environ 2 500 femmes, enfants, quelques hommes - et pas un seul prêtre - sont morts dans des conditions atroces. Il faut une dizaine de jours pour emporter tous les corps calcinés. La plupart sont jetés dans des fosses communes, faute de pouvoir les identifier. Les murs calcinés de l'église sont abattus pour laisser la place à un jardin et à une statue commémorative. Le prêtre Ugarte ne sera jamais inquiété.