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mardi 12 juin 2012

AU CŒUR DU PINOCHETISME

DES NOSTALGIQUES DE PINOCHET DÉFIENT LES MANIFESTANTS VENUS CONSPUER L’HOMMAGE AU DICTATEUR ORGANISÉ PAR DES ANCIENS MILITAIRES À SANTIAGO, LE 10 JUIN 2102 AU THÉÂTRE CAUPOLICAN. PHOTO DAVID VON BLOHN.
Certains opposants ont passé une partie de la nuit devant le théâtre. Plutôt jeunes ─beaucoup sont nés après la dictature, ils disent défendre la mémoire de la génération de leurs parents, privés de liberté, exilés ou assassinés. Arrive ensuite le cortège des membres de l’Association des familles de détenus-disparus avec à sa tête Lorena Pizarro, bien connue pour son combat en faveur de la justice et des droits de l’homme.
Le climat est crispé. « Asesino!, Asesino! » , hurle la foule maintenue à bonne distance du théâtre par les forces de l’ordre. Souvent d’origine modeste, les manifestants crient leur rage contre un hommage qu’ils considèrent comme « une honte internationale ».
A l’entrée du théâtre, en revanche, l’atmosphère est plutôt guindée parmi les fans de l’ancien général. La même rengaine revient inlassablement : « Un hommage ? Non. Nous sommes venus voir un documentaire », explique un homme tiré à quatre épingles. « Sans Pinochet, le Chili c’était Cuba », renchérit son épouse. « Si le pays va bien maintenant, c’est grâce à mon général », dit une autre.
DES SPÉCIMENS DE CE GENRE ONT ÉTÉ PHOTOGRAPHIÉS
AUX ABORDS DU THÉÂTRE CAUPOLICAN. ORGANISÉS EN
GROUPES, CASQUÉS, ARMÉS DE BÂTONS ET CLAIREMENT
EN CONNIVENCE AVEC LA POLICE, ILS ONT QUADRILLÉ LA
ZONE À LA CHASSE AUX MANIFESTANTS ANTI PINOCHET.
Concernant les violations des droits de l’homme ? « Il faut replacer cela dans son contexte », explique un des organisateurs. Dans la salle, le public est plutôt âgé mais l’ambiance chauffée à blanc. « Ce sont tous des anciens militaires(1) », glisse discrètement un journaliste chilien. Et c’est vrai qu’il règne une odeur de vieille guerre froide. « Jamais nous ne t’oublierons, libérateur du Chili », chante la salle surchauffée. Les femmes sont les plus bruyantes. Elles arborent posters, pin’s et même statuettes à l’effigie du « héros national ».

On aperçoit également de nombreux drapeaux chiliens mais aussi celui de Patrie et Liberté(2), un groupuscule fasciste ayant commis de nombreux attentats pour déstabiliser le gouvernement d’Allende, celui du parti du président Sebastián Piñera aussi, bien qu’il se soit distancié de l’évènement. On distingue un petit groupe de skinheads.

Juan González, militaire à la retraite et organisateur de l’événement est ovationné. Plusieurs personnalités d’extrême droite chauffent l’assistance. Comme guest star, venue directement des Etats-Unis,
Patrice Walcot de l’organisation « Social and equal justice » proche des anticastristes de Miami exige la libération d’Alvaro Corbalán, ancien hiérarque de la CNI, les services secrets de Pinochet. Il est soupçonné d’être l’instigateur en sous-main de cet hommage controversé. « Justice et liberté pour tous les ex-membres des forces armées », demanda-t-il en concluant son discours.

A peine le public a-t-il cessé d’applaudir qu’Augusto Pinochet Molina, petit-fils du dictateur, monte sur scène : « Je veux remercier Dieu et tous les Chiliens. En 1973, le pays a crié fortement liberté. Ce combat a été mené par mon grand-père mais vous y avez tous contribué. Battez-vous toujours pour la liberté, ne la perdez jamais. » C’est au tour de l’avocat Jaime Alonso, vice-président de la Fondation Francisco Franco (le dictateur espagnol) qui avait participé à la procédure pour suspendre Baltasar Garzón de sa fonction de juge en Espagne. Le même Garzón qui avait émis un mandat d’arrêt contre Pinochet en 1998 retenant celui-ci sur le sol européen pendant plus d’un an. « Il s’agit d’un acte d’une énorme transcendance pour le peuple chilien, un acte de justice historique et la reconnaissance d’une vérité que l’on veut sans cesse manipuler. Je suis persuadé qu’il y a encore beaucoup de Garzón qui agissent masqués
». 

« Tu es notre idole » , scande le public.

Miguel Menéndez Piñar monte sur scène. Il est le petit-fils de Blas Piñar, ministre de Franco et ami personnel de Pinochet. « Franco et Pinochet sont deux âmes jumelles. Si c’est nécessaire, il faudra retourner dans les tranchées pour faire face au marxisme », lance-t-il. Les discours achevés, la salle s’obscurcit et le documentaire débute. Augusto Pinochet apparaît révisant ses troupes. Le public exulte. A l’extérieur, les carabineros viennent d’utiliser des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.



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N O T E S :

1. Fondée en 1963, l'Unofar, l'Union nationale d’officiers des forces armées à la retraite a été officiellement reconnue en 1976, sous la dictature militaire. Censée ─selon ses statuts─ représenter des aspirations précises des retraités, exalter les valeurs de la patrie et les vertus militaires, cette association qui utilise à Santiago des locaux financés par l’argent public, est en réalité un enclave des Pinochetistes nostalgiques.
En effet, dans le site qu’ils maintiennent à grands frais sur Internet se multiplient les rubriques de louanges à la personne et à « l’œuvre » du général, et il est évident que l’image de l’ancien dictateur est un thème essentiel de leur communication.

L’autre préoccupation fondamentale d’Unofar est d’obtenir la libération des militaires emprisonnés, les quelques responsables de crimes et des violations aux droits de l’homme sous la dictature de Pinochet soumis à procès. Dans ce but, ils mènent une campagne
permanente de pressions envers l’appareil judiciaire et les avocats des associations des victimes. Ils réfutent les procédures en cours, ne reconnaissent pas l’autorité des juges et cherchent à les désavouer par le discrédit ou la diffamation.
Unofar conteste le principe même que des militaires soient mis en cause dans des crimes aux droits de l’homme, car pour eux les officiers inculpés sont les « sauveurs de la patrie ».

À la direction d’Unofar et parmi ses membres, des anciens officiers directement impliqués dans des graves affaires de violations des droits de l’homme. Ce sont des noms qui se répètent dans les épais dossiers juridiques recueillis par l’église catholique ─chargée de la défense des milliers de victimes─ et par les ONG internationales.
Des centaines d’anciens militaires sont identifiés comme responsables de crimes et des disparitions d’opposants sous la dictature, mais seule une soixantaine d’entre eux ont été traduits en justice, et ceci, avec des égards injustifiables : ils purgent leurs peines dans des véritables prisons « 5 étoiles », ou à l’hôpital militaire.
Périodiquement, des officiers condamnés que tout le monde croit enfermés sont vus dans des centres commerciaux en train de faire leurs courses, ou dans des restaurants en ville, et malgré que les crimes en cause soient imprescriptibles, la plupart des responsables n’ont jamais été inquiétés.





2. Le Front Nationaliste Patrie et Liberté a été un mouvement politique et paramilitaire Chilien de tendance nationaliste révolutionnaire, fondé en 1971 par l’avocat Pablo Rodríguez Grez, ultra nationaliste de droite, pour s'opposer activement au gouvernement de Salvador Allende.
LA CHAINETTE, L’EMBLÈME DE PATRIE ET LIBERTÉ,
D’ORIGINE SUPPOSÉE MAPUCHE, CONNUE AUSSI
COMME «L’ARAIGN
ÉE NOIRE». SUR DES CASQUES
ET DES BRASSARDS, ÉTAIT UN DES SYMBOLES DE
LA SUBVERSION CONTRE SALVADOR ALLENDE.

Le groupe recrutait des jeunes aisés de Santiago et Valparaiso, organisés en milices urbaines para militaires encadrées par quelques officiers engagés ─surtout de la Marine─, pour des actions de propagande politique et de sabotage.

Financés par des fonds secrets de la Cia acheminés à travers quelques entrepreneurs chiliens et surtout le quotidien national « El Mercurio », ils ont participé à plusieurs actions de provocation et déstabilisation, y compris l’assassinat politique, incitant les forces armées à renverser l’ordre constitutionnel.

PABLO RODRÍGUEZ GREZ, ULTRA
NATIONALISTE FONDATEUR DE PATRIE
ET LIBERTÉ ET AVOCAT DE PINOCHET.
Après la tentative de coup d’État avortée du 29 juin 1973, quelques membres appartenant à la mouvance Patrie et Liberté ont été mis en prison et ses dirigeants, notamment Pablo Rodríguez Grez et Roberto Thieme, ont fui le pays ou sont passés dans la clandestinité.

Suite au putsch sanglant du général Pinochet qui mit fin au gouvernement de Salvador Allende, considérant son objectif largement atteint, le groupuscule s’est auto dissout en 1973. Plusieurs de ses membres ont alors été intégrés dans la police politique de Pinochet (la DINA) où ils ont pris part aux massacres et aux atrocités des brigades militaires d’extermination de la dictature. En effet, quelques uns des tortionnaires les plus connus du sinistre appareil de terreur du régime de Pinochet sont sortis des rangs du mouvement néo fasciste Patrie et Liberté, et la proximité naturelle entre les milieux d’extrême droite, les militaires et leurs familles a facilité les passerelles.   

Aujourd’hui, ils maintiennent une présence sporadique et virulente sur les réseaux sociaux et quelques rares sites épisodiques.
À l’occasion de l’hommage des anciens militaires au dictateur Pinochet, des drapeaux de Patrie et Liberté sont réapparus en public, faisant partie d'une résurgence des symboles revendiquant la sombre période de la dictature.
PABLO RODRIGUEZ GREZ, PROFESSEUR DE DROIT DANS UNE UNIVERSITÉ PRIVÉE, MILITE ACTIVEMENT POUR ENTRETENIR LE LÉGAT POLITIQUE DE LA DICTATURE DE PINOCHET, JUSTIFIANT MÊME DES MILLIERS DE MORTS ET TORTURÉS AU CHILI
Pablo Rodríguez Grez, avocat et enseignant de Droit, figure du néofascisme chilien des derniers 40 ans, a été un idéologue du putsch et un fidèle compagnon de route de la dictature sans jamais faire partie du gouvernement militaire. Il a pris ses distances des choix économiques des premières années de la dictature, tout en gardant son admiration personnelle au gouvernement militaire et à la figure du dictateur.

En 2000, suite à une série de plaintes légales débouchant sur des procès contre le général Pinochet à son retour de Londres, Pablo Rodríguez Grez a été son avocat jusqu'à son décès en décembre 2006.
Sa stratégie judiciaire a consisté en accréditer l'innocence de Pinochet dans les crimes par lesquels on l'accusait, alléguer la prescription des faits, et certifier que l'état de santé du général lui empêchait d'être soumis à procès.