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mercredi 9 novembre 2011

ÉCRIVAIN, PEU OU PROUST




Bascule. Proust n’est jamais allé au Chili : il s’est arrêté à Venise, il a pris froid en dépit du manteau de fourrure en plein été et il s’est recouché de bonne heure. Julio (Diego Noguera, champion de l’understatement), l’antihéros du film, essaie de lire le premier tome de la Recherche, seul, allongé sur la plage. Au bout du premier paragraphe, il s’endort et le soleil, farceur, dessine sur sa peau la forme du livre ouvert qu’il a posé sur sa poitrine. Gag, cut sur le visage de la fille qui voit ça, ne rit même pas.

Jiménez n’est pas Woody Allen ou Blake Edwards : il dispose les éléments du comique de l’existence foireuse, mais l’énergie lui manque pour actionner la bascule à chute qui reste béante à mi-parcours, absurde avec les personnages saisis dans tout leur déséquilibre mais incapables de tomber. D’ailleurs, quand l’une tombe (vraiment), c’est hors-champ et Julio pleure.

On a découvert le cinéma de Jiménez en 2009 avec Ilusiones ópticas, «blague métaphysique pour Playmobils en déréliction» selon Libé, quand le cinéaste disait, lui, qu’il avait fait «une comédie sur l’artificialité des postures et des rôles dans la vie quotidienne». Invité à Paris par la Cinéfondation cannoise, Jiménez a écrit le scénario de Bonsái dans les hauteurs de la rue des Martyrs et le film terminé a finalement été retenu dans la sélection Un Certain regard en mai dernier.

Jimenez aime Hong Sang-soo, Aki Kaurismäki, Hal Ashby… Son film est aussi parsemé de musiques punk-rock ou electro (composées notamment par le groupe franco-chilien Pánico) et des jeunes Chiliens se mettent sans prévenir à pogoter devant la caméra, ce qui forme un contraste saisissant avec la pulsion d’inertie profonde qui semble par ailleurs traverser la ville et ses habitants. Bonsái est entêtant quoique déceptif. Il laisse après vision une étrange marque, comme en creux, tel le carré du livre à même la peau.

Bande dessinée. Julio devait faire le dactylo pour un vieil écrivain, celui-ci le jette en définitive. Alors, Julio, pour ne pas perdre la face devant sa copine, se met à fabriquer des cahiers d’écriture tachés de cendres et de thé. Ce faisant, il écrit bel et bien un livre qui a l’objectivité douce de la douleur.

Chaque scène est construite et posée avec application dans des cadres fixes, et on a l’impression de lire une bande dessinée morose. On se dit parfois que Jiménez pourrait mal tourner, que l’élan pop d’Ilusiones ópticas est déjà en train de devenir du style léché pour festivals internationaux et sortie confidentielle en France. En attendant, ce Bonsái en mode mineur nous va et donne envie de lire le livre adapté, gros succès d’Alejandro Zambra édité chez Rivages.

BONSÁI de CRISTIÁN JIMÉNEZ avec Diego Noguera, Natalia Galgani… 1 h 35.