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jeudi 11 août 2011

LE CHILI EN ÉBULLITION

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 PHOTO FELIPE TRUEBA
Vingt ans après la fin de la dictature, la population chilienne a des revendications et n’a plus peur de les formuler. Depuis maintenant plus de deux mois, les Chiliens manifestent, en vrac: pour une réforme de l’éducation, une meilleure répartition des richesses, l'accélération des travaux de reconstruction après le séisme dévastateur de février 2010, ou encore contre un projet de construction de barrages hydroélectriques en Patagonie, mais aussi pour les droits des homosexuels. L’essentiel de la contestation concerne la cherté des études L’Etat ne consacre que 4,4 % du PIB à l’éducation, qui fait partie des plus privatisées du monde –depuis que le dictateur Augusto Pinochet s'est engagé sur cette voie. Résultat: le système éducatif chilien est parmi les plus onéreux et les plus inégalitaires qui soient. Mardi, le cortège, composé majoritairement par des étudiants, comptait quelque 100 000 personnes à Santiago, selon les organisateurs, et 60 000 selon la police. Le défilé a dégénéré quand des petits groupes de jeunes ont commencé à mettre le feu à des voitures, à casser des vitres et à former des barricades. Les forces de l'ordre ont eu recours à des canons à eau et à des gaz lacrymogènes pour les disperser. 
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LA BRUTALE REPRESSION POLICIERE CONTRE LES JEUNES AU CHILI A ETE
EPINGLEE PAR LA COMISSION INTER-AMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME.
Selon le vice-ministre de l'Intérieur, Rodrigo Ubilla, 273 personnes ont été arrêtées et 39 personnes ont été blessées, dont 23 policiers. Les violences «ont eu surtout lieu dans la capitale», a indiqué Ubilla, mais des rassemblements ont également été organisés dans de nombreuses villes alentours, comme à Ñuñoa, dans la province de Santiago, mais aussi dans la ville portuaire de Valparaiso (dans la province éponyme, où des incidents avaient été constatés jeudi dernier), dans la commune proche de Viña del Mar, à Concepción ou encore à Valdivia, capitales de provinces également. Plus au Sud, à Puerto Montt (Province de Llanquihue), des concerts de casseroles ont retenti –comme à Copiapo. Des «cacerolazos» qui ne sont pas sans rappeler ceux qui eurent lieu à l’époque pour dénoncer la dictature militaire de Pinochet entre 1973 et 1990. Dans le Nord, des mouvements solidaires ont notamment eu lieu à Iquique (province du même nom) ou encore Arica (idem).

L'ECUSSON DE LA COMMISSION INTERAMÉRICAINE
DES DROITS DE L'HOMME QUI SIEGE A WASHINGTON

LA CIDH CONDAMNE LES VIOLENCES POLICIÈRES

«Les étudiants et les professeurs ont voulu une nouvelle fois organiser une manifestation. Le gouvernement leur a donné l'autorisation. Mais, ce qui s'est passé a montré encore une fois qu'ils sont malheureusement incapables de contrôler les protestations», a déclaré le ministre de l'Intérieur Rodrigo Hinzpeter. Jusque-là, les rassemblements avaient en effet été interdits par les autorités. Jeudi derniers, des centaines d'étudiants ont occupé les locaux de la chaîne de télévision Chilevision, anciennement contrôlée par le chef de l'Etat, Sebastián Piñera. «Nous voulons une réforme pour que l'éducation puisse être accessible à tous», avait déclaré à Reuters Matias Moreno, un étudiant de 17 ans. Mais la manifestation a viré à l'affrontement avec les forces de l’ordre, et près de 900 personnes ont été arrêtés. «Ce n'est pas en lançant des cocktails Molotov, en brûlant des poubelles, en paralysant la circulation que l'on va arriver à améliorer le système éducatif», avait sermonné Rodrigo Ubilla.

Samedi, après une manifestation similaire, la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) avait critiqué des violences policières présumées. Dans un communiqué, la CIDH, basée à Washington, a condamné «les graves faits de violence qui ont eu lieu lors des manifestations estudiantines» et déploré que les policiers aient «frappé des manifestants» pour disperser les rassemblements. Elle rappelait que le droit d'association, de manifestation et la liberté d'expression sont des droits fondamentaux garantis par la Convention américaine des droits de l'Homme. C’est d’ailleurs pour protester contre ces présumées violences qu’une nouvelle journée de manifestations a été organisée hier. «La dictature a pris fin il y a vingt ans», a souligné la dirigeante du mouvement étudiant Camila Vallejo, citée par RFI.

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PHOTO VICTOR RUIZ CABALLERO

LES VELLÉITÉS DE PINERA

Dès le mois de mai, Sebastián Piñera, président depuis mars 2010, a tenté d'apaiser la colère du monde étudiant, en déclarant lors de son discours annuel au Congrès: «La classe moyenne est le pilier et la colonne vertébrale de notre société. Nous sommes préoccupés par elle, par l’éducation de ses enfants. Pour cette raison, nous sommes en train d’étendre la subvention scolaire à la classe moyenne, d’attribuer plus de bourses et de d’abaisser le coût des crédits.» Mais ces annonces n’ont pas satisfait la population ; les manifestations se sont multipliées. Le 6 juin, une journée spéciale appelée «Baisers pour une meilleure éducation» a été organisée à Santiago. Dix jours plus tard, les lycéens et les mineurs du cuivre, des entreprises de sous-traitance, se sont même associés pour un grand mouvement de contestation à Santiago. Fin juillet-début août, les salariés de la mine Escondia ont fait grève durant deux semaines pour obtenir une prime de production annuelle de 7 500 euros net par travailleur, car malgré la hausse du prix du cuivre et les 3,5 milliards d’euros de bénéfices réalisés l’an dernier par l’entreprise, elle a baissé leur prime de production. Ils ont finalement obtenu la moitié. Le mois dernier, un fonds de quatre milliards de dollars a été créé pour l'éducation, et plusieurs mesures annoncées, dont l'une prévoyait de faire de l'éducation un droit garanti par la constitution. Ces propositions ont encore été jugées insuffisantes.

En octobre dernier, la popularité de Sebastián Piñera était montée en flèche après le sauvetage des 33 mineurs piégés sous terre durant 69 jours. Mais après 15 mois au pouvoir, sa cote a atteint un plus bas historique depuis la fin de la dictature: seuls 26% de ses citoyens se disent satisfaits de son bilan. Alors que l'économie du pays est florissante, notamment grâce au cours particulièrement haut du cuivre, avec une croissance entre 6% et 7% attendue en 2011, de nombreux habitants du pays se sentent oubliés. «Le problème de ce pays est que la richesse est trop concentrée (...). Les pauvres ne peuvent pas gravir les échelons de la société», a ainsi déploré Oscar Escobar Bravo, âgé de 17 ans. Le successeur de Michelle Bachelet, âgé de 61 ans, a pour sa part bâti sa fortune dans le transport aérien –il est millionnaire.


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PHOTO FELIPE TRUEBA
Dans le quotidien «La Nación» le journaliste Alvaro Medina J. qualifie cette révolte d’«aigre-douce». Douce, car «ce réveil de la citoyenneté» est positif. «La population, contrairement à d'autres époques, formule ses demandes et s'attend à ce qu'on l'entende», écrit le journaliste. Mais aigre, car il regrette que le débat s’écarte peu à peu de la revendication principale, à savoir la réforme de l'éducation, et qu’il dégénère en violence, avec toutes les conséquences que cela comporte, comme «la paralysie du commerce et des transport dans des secteurs clés et pendant les heures de pointe, souligne-t-il. Dommage.» Il appelle également à examiner avec soin les propositions du gouvernement, qui, «même si certains les considèrent comme insuffisantes, représentent un pas en avant». Selon lui, il ne faut pas «diaboliser» le pouvoir; et «l’intransigeance (…) ne mène nulle part».