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samedi 27 mars 2010

Mauricio Segura : sombre retour

Eucalyptus , SEGURA, MAURICO © BOREAL 2010
Au Chili, on les appelle les «retornados», ceux qui sont revenus d'exil et à qui l'État a accordé certaines faveurs depuis le retour de la démocratie. Et qui ne sont pas partout les bienvenus, même dans leur propre famille.
Le père de Maurico Segura est de ceux-là. Député socialiste sous Allende, il s'est installé avec sa famille à Montréal en 1974. Après le départ de Pinochet, il est retourné dans le Sud rural, d'où il vient, et a refait sa vie avec une Autochtone.
Mauricio Segura s'est appuyé sur cette histoire pour bâtirEucalyptus, du nom de la plante envahissante dont l'importation par des multinationales a fait des ravages dans les terres du Sud. Dans le roman, l'arbre maudit cause aussi des drames, soulève la haine et la cupidité, dans la famille et entre les communautés.
«Je tenais à raconter cette trajectoire familiale après m'être rendu compte que beaucoup d'amis immigrants ont vécu la même chose: le père est retourné et a quitté la famille», explique Mauricio Segura.
Alberto, jeune écrivain et professeur montréalais, se rend au Chili avec son garçon de 4 ans pour assister aux funérailles de son père Roberto, mort dans des circonstances nébuleuses. Revenu au pays après la dictature, Roberto avait hérité de la terre paternelle, ce qui avait créé de la jalousie dans la fratrie. Il s'était aussi lié à ses voisins, des Indiens Mapuche, au moment où ceux-ci amorçaient une nouvelle émancipation avec l'élection d'un premier maire autochtone.
Qui était véritablement son père? Comment et pourquoi est-il mort? Comme dans un polar, chaque personnage dévoile une facette du personnage, une vision de la réalité. Mais la vérité est beaucoup plus complexe. Alberto devra choisir celle qui lui convient.
«Ce n'est pas un roman à thèse, mais c'est un roman politique. Parce que c'est un roman sur le racisme, souligne-t-il. Les trois quarts du roman, on a une version officielle qui est remise en question. Pourquoi est-ce qu'on ne légitime pas la version des Autochtones?»
C'est aussi un choc des cultures et des civilisations. L'auteur fait naître Roberto dans la petite communauté juive du Sud. «Les Juifs comme les Autochtones se battent tous les deux pour des terres. C'est une obsession millénaire. Le rapport qu'on a à la terre est aussi émotif, imaginaire, sentimental, symbolique.»
En 1998, Mauricio Segura a fait une entrée remarquée dans le paysage littéraire en publiant Côte-des-Nègres, une fresque sociologique sur le monde des gangs et des nouveaux immigrés. Cinq ans plus tard, il publiait Bouche à bouche, un roman totalement différent qui dépeint sur un mode mi-onirique mi-hallucinatoire la sexualité débridée de mannequins vieillissants.
Eucalyptus est d'une tout autre mouture, encore une fois. Quand il a commencé à l'écrire, l'auteur, comme son personnage, enseignait la littérature (à Concordia et McGill). Comme lui, il n'avait plus assez de temps pour se consacrer à l'écriture. Il avait aussi des relations difficiles avec sa famille. Et lisait beaucoup de romans policiers, ce qui a sans doute teinté l'atmosphère du récit.
Bien sûr, il y a beaucoup de lui et de son père dans le roman. Mais il est inutile de savoir précisément où commence la fiction pour y plonger et y croire. Sachons que le paternel vit toujours au Chili et que le fils ne s'inquiète pas de sa réaction à la lecture du livre. «Il comprend que c'est de la fiction...»
Maintenant scénariste de documentaires et directeur du contenu à la maison de production Pimiento (qui prépare aussi un projet de film sur Côte-des-Nègres), il a travaillé à une étude pour la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Pour L'actualité, il s'est fait blogueur en 2008 en couvrant la vie de Montréal-Nord au lendemain de l'affaire Villanueva.
Si chaque livre est une thérapie, ce nouveau roman aura permis, entre autres, de comprendre un peu mieux l'appel du pays natal qui a frappé son père. Au départ, Mauricio Segura souhaitait raconter l'histoire des quatre membres de la famille d'exilés. Mais celle du père a fini par écraser les autres. Non sans douleur, il les a sacrifiées.
Le résultat? Un roman beaucoup plus court, mais très condensé. Des lieux et paysages réalistes car très documentés. Une écriture toute en retenue. Des personnages bien vivants, lourds de tout ce qu'on soupçonne, mais qui n'est pas raconté.


Montréal, un homme rentre au Chili. Son père est mort. Il vient lui rendre les derniers hommages. Très vite, il se rend compte que ceux qui ont fait le choix de partir ne sont pas nécessairement les bienvenus quand ils rentrent au pays des ancêtres. Entre les enracinés et les déracinés plane un malentendu qui rend le retour impossible. Surtout dans cette famille juive qui, d'Andalousie en passant par Thessalonique, est venue enfin s'échouer dans ce finistère qu'est le sud du Chili, terre à la fois d'une folle générosité et d'une indicible cruauté. Terre ancestrale des Indiens mapuches, que domine la cime neigeuse du volcan Llaima et qui est recouverte du vert intense des eucalyptus, cet arbre venu de l'autre côté du monde qui pousse à une vitesse phénoménale et qui menace de tout engloutir. Dans ce roman bref, construit comme un polar, Mauricio Segura propose une réflexion à la fois grave et profondément émouvante sur les liens, insaisissables, indénouables, qui unissent les hommes à la terre. Le profond pessimisme qui hante son récit donne un relief remarquable au destin de ses personnages, écartelés entre plusieurs cultures, plusieurs âges et plusieurs continents.

Détails
Prix : 21,95 $
Catégorie :
Littérature Québec - Canada
Auteur :
Maurico Segura
Titre : Eucalyptus
Date de parution : mars 2010
Éditeur : BOREAL
Sujet : litterature quebecoise
ISBN : 9782764620090 (2764620098)
Référence Renaud-Bray : 100071303