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vendredi 29 janvier 2010

L'ORIFLAMME : CHASSE AU TRÉSOR AU LARGE DU CHILI

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L'Oriflamme avait un déplacement de 1500 tonnes. Source Oriflama

Pollet et son collègue Pedro Pujante ont fondé à Santiago du Chili, en janvier 2009, l'Institut d'archéologie nautique et subaquatique (Ians). Il s'agit d'une société scientifique de statut privé et sans but lucratif. Elle s'assigne pour objet « l'étude, la conservation, la protection et la diffusion du patrimoine maritime et subaquatique d'Amérique latine ». Pollet, par ailleurs, a pour spécialité ce qu'on appelle « l'archéologie préventive » et a travaillé en France à l'Inrap. Il sait donc, par expérience, que l'on peut s'inquiéter des risques encourus par une épave si celle-ci était fouillée hors du cadre d'un projet scientifique rigoureux.

Une société nommée « Oriflama s.a. » s'intéresse depuis 2001 à l'épave de l'Oroflamme. Elle déclare sur son site Web être patronnée par plusieurs institutions universitaires chiliennes et par l'organisme cubain « Carisub s.a » qui compte « une direction archéologique , un département de recherches et un laboratoire spécialisé dans la conservation des artefacts collectés en milieu marin ».


Cette entreprise, cependant, pourrait nourrir des intentions plus commerciales que scientifiques selon l'archéologue français, puisqu'elle a demandé aux autorités chiliennes une part du trésor de l'Oriflamme, estimé par certains à quelque 30 millions de dollars américains. Un article du Santiago Times du 13 janvier cite Oscar Acuna, le secrétaire général du Conseil des monuments nationaux du Chili, affirmant être prêt à concéder à Oriflama s.a. « 25% de la valeur de leur découverte », tout en rappelant que « l'épave elle-même restait la propriété de l'Etat ».


Trois points à préciser : rendre un élément du patrimoine national aliénable n'est ni dans l'esprit de la loi chilienne, ni dans l'intérêt de la conservation de ce patrimoine ; le gouvernement chilien, par ailleurs, ne s'est pas encore prononcé sur cette affaire. Enfin, affirme Pollet, l'épave elle-même, si elle était l'objet d'une fouille sans projet scientifique avéré, pourrait être endommagée de façon irrémédiable.


Christophe Pollet m'a adressé une tribune libre. Je la publie bien volontiers. Elle raconte une belle et inquiétante histoire. La voici.


Le sort d'un navire échoué il y a près de 230 ans sur la côte sud du Chili, témoignage précieux de l'histoire maritime et de la navigation dans la mer du Sud, suscite l'inquiétude des archéologues chiliens et internationaux.


L'Oriflamme était un vaisseau de ligne de construction française lancé à Toulon en 1743 ; en 1761, après 18 ans de campagnes au sein de la flotte royale méditerranéenne, il est capturé par les Anglais. Sans doute trop vieux pour être incorporé à la Royal Navy, il est réarmé en navire de commerce. Mais en 1763, alors qu'il séjournait en Espagne, il change à nouveau de pavillon, probablement saisi par les autorités hispaniques.


Rebaptisé Nuestra Señora del Buen Consejo y San Leopoldo ou Oriflama, il est cédé à une compagnie privée pour le commerce outre-Atlantique. En 1770, après quelques années de navigation aux Amériques, le navire est affrété pour le Pérou. Alors qu'il passait les côtes du Chili, entre Concepción et Valparaiso, son équipage, probablement décimé par le scorbut, ne parvient pas à faire face à une terrible tempête d'hiver : le Pacifique engloutit le navire, juste en face de l'embouchure des rivières Huenchullami et Mataquito, près du petit village de Curepto, dans un endroit très difficile d'accès.


Les conditions naturelles du site empêchent toutes tentatives de sauvetage, pourtant organisées à grands renforts de moyens par le Vice-roi du Pérou en personne. Le naufrage, qui ne laisse aucun survivant, s'inscrit dès lors dans la mémoire collective de Curepto et du Chili, jusqu'à en façonner la légende.


Au moment de son naufrage, l'Oriflama se dirigeait vers le port du Callao-Lima où il devait livrer une importante cargaison de cristallerie fine d'Espagne et y débarquer quelques passagers, ainsi que leurs effets personnels. Les circonstances du drame, ainsi que la valeur de la cargaison ont généré le mythe du trésor de l'Oriflama, et en ont fait l'une des épaves les plus convoitées par les « chasseurs de trésor », le long de ces côtes du Pacifique.


Le mystère de l'Oriflamme reste entier

Malgré beaucoup d'efforts pour la retrouver, tant à l'époque qu'aujourd'hui, l'épave n'a jamais pu être détectée. De nos jours, elle repose selon toute probabilité sous une importante couche de sédiments fluviaux, la protégeant ainsi de l'action de la mer… et des hommes. Elle constitue aujourd'hui un site archéologique de grand intérêt, témoignage précieux de l'histoire maritime tant sur le plan national qu'international, qu'il convient de préserver et d'étudier de manière scientifique.


Bien que l'archéologie maritime et subaquatique, dans sa pratique, n'en soit qu'à ses débuts au Chili, la loi sur le patrimoine historique et archéologique est claire et très protectrice : tous les monuments historiques et les sites archéologiques sont la propriété de l'État ; il incombe par conséquent à ses services compétents, par l'intermédiaire du Consejo de monumentos nacionales, de régir toute intervention.


De ce fait, les dispositions législatives et réglementaires rendent les vestiges archéologiques inaliénables, sauf dans un cas précis encadré par la loi puisque, en effet, à l'occasion d'une intervention par un opérateur étranger, 25% des vestiges mis au jour peuvent être réclamés et éventuellement cédés par l'État, à condition d'avoir été soumis à une étude scientifique préalable –c'est-à-dire des fouilles archéologiques-, et sous réserve de l'autorisation expresse du CMN.


Or le site du naufrage constitue depuis 2005 la cible d'une société commerciale, Oriflama S.A. qui prétend « sauver » l'épave mais qui compte en fait exploiter son potentiel à des fins lucratives.


En effet, au terme d'une bataille juridique compliquée et après en avoir réclamé la pleine propriété, Oriflama S.A. a déposé en dernier recours une demande de fouilles, s'accompagnant d'une clause leur cédant 25% des objets. Pour ce faire, les responsables de la société Oriflama se sont engagés auprès du CMN à restituer la coque et les 75% restants à un futur musée d'archéologie maritime, susceptible de renforcer le secteur touristique dans la région.


Un projet qui menace les étapes pré-muséologiques

Cependant, ce projet suscite de nombreuses interrogations. Comment s'assurer que les opérations se feront dans des conditions non destructives et scientifiques ? En effet, outre sa valeur patrimoniale, une épave en tant que site archéologique est un document historique dont l'étude requiert de méthodes d'enregistrement rigoureuses, effectuée par des équipes spécifiquement formées


Enregistrement qui a pour objectif de faire progresser notre connaissance sur des thèmes relatifs à la construction navale ou encore le commerce maritime. Extraire des objets du site sans en comprendre leur environnement, c'est se priver délibérément d'une grande partie de cette connaissance. L'étape muséologique, importante car elle permet de partager les découvertes et le savoir acquis avec le public, constitue en soi une étape ultime dans ce processus.


Subsiste alors une autre interrogation de taille : lorsque les opérations seront terminées, comment procéder au « partage » des « découvertes », sur quels critères ? Le patrimoine ne saurait être un bien monnayable, alors que les enjeux sont réels : le potentiel scientifique et muséographique du site est prometteur. Les difficultés technologiques pour étudier l'épave sont elles aussi bien réelles, mais rien qui ne soit insurmontable à toute initiative sérieusement préparée, bénéficiant d'appuis logistiques importants.


En attendant le moment propice, il est indispensable de faire de cette zone une réserve archéologique. En ces temps où l'Unesco vient de célébrer le premier anniversaire de l'entrée en vigueur de la Convention internationale sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, document juridique qui a pour but de « protéger les sites archéologiques subaquatiques du monde entier, de lutter contre le pillage et de réglementer la coopération internationale pour leur conservation », il serait souhaitable de ne pas céder aux sirènes du spectaculaire et du profit immédiat, sous peine de revenir à l'ère des Antiquaires, quand l'archéologie servait à enrichir les collections. C'était au XVIIIe siècle, le siècle de l'Oriflama…

Michel Faure