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mercredi 9 décembre 2009

AU CHILI, L'ASSASSINAT D'EDUARDO FREI MONTALVA REFAIT SURFACE

Après vingt-sept ans de soupçons, la justice a déterminé que l'ancien président démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva (1964-1970),figure de proue de l'opposition à M. Pinochet, avait été empoisonné par la Dina, la redoutable police secrète de la dictature. Six hommes, dont quatre médecins, ont été arrêtés, le 7 décembre, à Santiago.

L'ex-président, auquel avait succédé le socialiste Salvador Allende, renversé par le coup d'Etat militaire du 11 septembre 1973, avait dénoncé les violations des droits de l'homme commises pendant les années de plomb. Il est mort, à 71 ans, le 22 janvier 1982, officiellement d'une septicémie, après avoir subi deux mois plut tôt une intervention bénigne pour une hernie.

Son fils, Eduardo Frei, lui aussi démocrate-chrétien, est le candidat à la présidence pour la Concertation de centre-gauche, qui gouverne depuis le retour de la démocratie. Pour la première fois depuis vingt ans, la coalition pourrait perdre le pouvoir face à la droite : Sebastian Piñera, milliardaire entrepreneur, est donné favori. Il avait perdu, au premier tour de la présidentielle de 2005, face à la socialiste Michelle Bachelet.

Guindé et peu charismatique, M. Frei qui fut président de 1994 à 2000, est affaibli par la candidature d'un jeune dissident de la Concertation, Marco Enriquez-Ominami, qui se présente en indépendant. A 36 ans, cet ex-député socialiste, surnommé "l'Indocile", talonne M. Frei dans les sondages et veut s'imposer comme le candidat qui affrontera la droite, au second tour.

"MAIN NOIRE"

L'hypothèse de l'assassinat de M. Frei Montalva, défendue depuis des années par la famille de l'ex-président, avait été retenue, dès 2006, après que des traces de poison, en particulier de gaz moutarde, aient été décelées à l'autopsie. Le médecin qui avait opéré M. Frei Montalva avait rompu le silence,affirmant qu'il y a eu une "main noire" derrière la mort de son patient. Il citait un "agent chimique extérieur" qui aurait accéléré un processus infectieux.

"Cela démontre que la justice prend son temps au Chili, mais qu'elle finit par arriver", a déclaré la présidente Bachelet qui a été torturée et dont le père est mort en prison sous la dictature. "C'est le premier magnicide de l'histoire chilienne", a souligné Eduardo Frei.

L'opposition s'est étonnée, craignant que cette annonce surprise ne soit utilisée à des fins électorales. "Il est curieux qu'à quelques jours de la présidentielle une enquête judiciaire, qui dormait depuis des années, finalement aboutisse", a pointé le chef de campagne de Marco Enriquez-Ominami. Son père, l'ex-guérillero Miguel Enriquez, a été tué par la junte militaire en 1974.

Plus stoïque, Sebastian Piñera s'est "solidarisé" avec la famille Frei. "Cet assassinat est évoqué depuis longtemps par la presse", rappelle le politologue Carlos Huneeus qui croit que "cela n'apportera pas davantage de votes en faveur d'Eduardo Frei".

Cette affaire macabre confirme que Pinochet avait ordonné la fabrication d'armes chimiques pour éliminer ses opposants, dont plusieurs généraux hostiles au coup d'Etat de 1973. La Dina avait recruté un jeune chimiste chilien, Eugenio Berrios. Dans son laboratoire, à Santiago, l'apprenti sorcier parvint à fabriquer du gaz sarin, un poison qui attaque le système nerveux et, à petites doses, simule une crise cardiaque.

L'empoisonneur figure paradoxalement parmi les victimes de M. Pinochet. Son cadavre a été retrouvé en avril 1995 sur une plage en Uruguay, les mains coupées, deux balles dans la tête. A l'époque, la démocratie avait été rétablie au Chili, mais Augusto Pinochet, après dix-sept ans de dictature, était toujours à la tête de l'armée. Il craignait que le chimiste ne laisse échapper ses secrets.

Pour Gladys, la veuve d'Eugenio Berrios, il ne fait aucun doute que Pinochet lui-même a ordonné la mise à mort de son ancien employé. Cet assassinat provoqua à l'époque un scandale. Il était la preuve que le plan Condor, qui assurait la collaboration entre les dictatures d'Amérique du Sud pour supprimer leurs opposants dans les années 1970, était toujours en place malgré le rétablissement de la démocratie au Chili, en Uruguay et en Argentine.


Christine Legrand