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jeudi 29 octobre 2009

Des chercheurs décryptent l'éruption inattendue du Chaitén, Chili le premier mai 2008

Toute fois, le 1 ER mai 2008 le volcan Chaitén (Chili) surprît les spécialistes, comme la population, par la soudaineté de son éruption. Par une expérimentation en laboratoire des chercheurs de l'Institut des Sciences de la Terre d'Orléans (INSU-CNRS, Université d'Orléans-Tours), de l'Université de Munich (Allemagne) et du Smithsonian Institute (EU) ont pu déterminer certaines caractéristiques de l'éruption, en particulier la vitesse d'ascension rapide du magma pourtant visqueux, expliquant par là même l'absence de détection précoce. Un résultat paru récemment dans la revue Nature qui conduit à reconsidérer l'aléa lié au volcanisme des magmas riches en silice.

Il existe des éruptions volcaniques dévastatrices, appelées Ignimbrites, faites de magma riche en silice (rhyolitique) qui se répandent rapidement sur des étendues et des épaisseurs énormes. Connue des géologues, aucune n'a jamais été observée dans les temps historiques. L'éruption du Chaitén s'en apparente par la nature du magma siliceux et la rapidité de l'éruption.

Cette éruption fût la première éruption rhyolitique qui ait jamais été observée par l'homme et enregistrée par des méthodes sismiques. Autre fait exceptionnel, les premiers signaux précurseurs, principalement des séismes liés à l'ascension du magma par fracturation de la croûte, n'ont été détectés par la population locale mais également par les instruments géophysiques, à peine 24 heures avant le déclenchement du paroxysme éruptif lui-même. Cet intervalle, de temps très court entre séismes annonciateurs et éruption, a rendu très difficile la mise en place de tout plan d'évacuation de la zone aux alentours immédiats du volcan. L'absence de signaux précurseurs de l'éruption a, dans un premier temps, été attribuée à une couverture imparfaite du réseau géophysique de surveillance, étant donné l'éloignement de l'appareil volcanique de tout grand centre urbain mais également de l'absence d'activité récente. Un des facteurs essentiel contrôlant les régimes éruptifs, c'est-à-dire le type d'éruption volcanique, est la viscosité du magma, ou sa capacité à s'écouler plus ou moins facilement dans le conduit qui relie le réservoir profond au cratère sommital. La viscosité d'un magma dépend tout à la fois de : sa température, sa teneur en silice, sa teneur en eau dissoute, la quantité de cristaux et de bulles. Une augmentation de la température et de la teneur en eau rend le magma plus fluide, alors que l'augmentation de la silice et de la quantité en cristaux/bulles le rend plus visqueux, plus épais. Le dégazage, quant à lui produit des bulles de gaz qui rendent le magma plus léger, donc plus apte à monter vers la surface, mais ce même phénomène augmente sa viscosité ce qui ralentit sa vitesse d'ascension. La vitesse d'ascension d'un magma est donc le résultat d'un réglage subtil entre les effets contraires liés à sa densité et à sa viscosité, tous deux dépendant fortement de la teneur en éléments volatils dissous qui diminue quand la pression baisse.

Ainsi, il est de coutume de considérer que les magmas riches en silice, les rhyolites, sont très visqueux et montent lentement dans la croûte vers la surface, tandis que les magmas pauvres en silice, les basaltes, se propagent vers la surface rapidement. Selon cette vision, les magmas rhyolitiques relâchent leur bulles de gaz soudainement et produisent généralement des éruptions explosives alors que leurs équivalents basaltiques forment des coulées de lave car leur faible viscosité permet aux bulles de s'échapper de façon plus ou moins continue et donc d'arriver en surface virtuellement dégazé avec un potentiel explosif amoindri ou nul.

Le point essentiel est que, du fait de leur viscosité élevée, l'ascension des magmas rhyolitiques dans la croûte est annoncée par des signaux précurseurs, détectés notamment par la séismicité induite, plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant l'éruption elle même. Ce schéma général opposant magmas rhyolitiques montant lentement dans la croûte aux magmas basaltiques à mobilité élevée, est maintenant battu en brèche à la suite de l'éruption du volcan Chaitén de 2008. Jonathan Castro et ses collègues ont appliqué la méthodologie utilisée précédemment par d'autres chercheurs de l'ISTO pour reconstituer l'histoire éruptive du Vésuve (Scaillet et al., 2008, Nature). Il s'agit de reproduire en laboratoire, au moyen d'expériences hydrothermales, l'analogue des conditions de stockage pré-éruptif du magma. Cette approche permet de localiser le réservoir à l'aplomb du Chaitén à environ 5 km de profondeur, et la température du magma rhyolitique qu'il contenait à 800±20°C.

Dans un deuxième temps, les chercheurs ont réalisé des expériences simulant l'ascension du magma dans le conduit, expériences au cours desquelles la pression imposée dans l'autoclave est progressivement diminuée, selon des vitesses variables, afin d'induire ou non la formation de cristaux.

En effet, une vitesse d'ascension lente permet une cristallisation du magma, qui se traduit dans la roche volcanique par la plus ou moins grande abondance de petits cristaux de minéraux appelés microlithes. L'absence de ceux-ci dans les ponces volcaniques du Chaitén suggérait déjà des remontées rapides, en accord avec les observations sismiques, mais il n'y avait pas de données quantitatives disponibles.

Grâce aux simulations expérimentales, les auteurs ont pu montrer que l'absence de cristallisation du magma silicique du Chaitén pendant sa remontée signifiait des vitesses d'ascension de l'ordre du mètre par seconde. Ces vitesses sont deux ordres de grandeur supérieures à celles communément admises jusqu'ici pour les magmas rhyolitiques (de l'ordre du cm par seconde). A partir de ces expériences, le temps de transfert moyen entre le réservoir profond et le cratère sommital a été estimé à quelques heures au plus. Ces travaux démontrent l'intérêt de l'approche expérimentale, telle que l'ISTO l'a développée, pour la compréhension du phénomène magmatique, approche complémentaire des moyens géophysiques généralement mis en oeuvre pour la surveillance des volcans actifs.

Ces résultats apportent un nouvel éclairage, quelque peu inquiétant, sur la capacité ascensionnelle vigoureuse des magmas rhyolitiques, car ils remettent largement en cause l'idée selon laquelle le réveil d'un volcan dormant ayant émis des magmas rhyolitiques par le passé se déroulera sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Le Chaitèn en est la preuve, une journée, voire quelques heures, peuvent suffire.

Source
Castro, J.M. & Dingwell, B.B. (2009). Rapid ascent of rhyolitic magma at Chaitén volcano, Chile. Nature 461, 780-783, doi :10.1038/nature08458