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mercredi 5 avril 2017

CHILI. DEVENIR TRAFIQUANT D’OR, UN JEU D’ENFANT


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PHOTO TOMAS MUNITA
Harold Vilches, un Chilien de 23 ans, a fait passer plus d’une tonne d’or aux États-Unis, en toute illégalité. Son arrestation, en août 2016, a mis au jour les ramifications d’un trafic en pleine explosion. Et d’une facilité déconcertante : il a suffi au jeune homme de quelques clics sur Google pour trouver les informations nécessaires.
Michael Smith et Jonathan Franklin

PHOTO TOMAS MUNITA
Après-midi du 28 avril 2015. Les minutes défilent tandis que Harold Vilches observe, stoïquement, les douaniers de l’aéroport international de Santiago fouiller son bagage à main. Il contient 20 kilos d’or en barre, pour une valeur de près de 800 000 dollars. Cet étudiant de 21 ans à l’air poupin ne veut qu’une chose : être autorisé à prendre un vol de nuit à destination de Miami. Il a fait ce trajet, ou envoyé des émissaires le faire à sa place, plus d’une dizaine de fois. Il a mis le plus grand soin à préparer ses faux documents d’exportation. Il est quasiment certain que tout se passera bien. Sans attendre la fin du contrôle, il prévient ses contacts en Floride qu’il a déjà passé la douane.

Son objectif, une fois arrivé à l’aéroport de Miami, est de remettre l’or à deux agents de sécurité qui le transporteront dans un véhicule blindé jusqu’à NTR Metals Miami, une entreprise qui achète de l’or en quantités plus ou moins grandes pour le revendre sur le marché mondial. La simplicité des locaux miteux, où une réceptionniste travaille derrière une paroi en plexiglas de deux centimètres d’épaisseur, masque l’ampleur des activités qui s’y déroulent.

De sources proches du dossier, les enquêteurs du ministère américain de la Justice évaluent à au moins 3 milliards de dollars le stock d’or acheté par NTR Metals Miami en Amérique du Sud depuis 2012. Une grande partie serait issue d’activités minières illicites.

En deux ans seulement, Harold Vilches a fait son chemin parmi les trafiquants d’or en Amérique latine. À peine assez vieux pour commander une bière à Miami, il n’en a pas moins acheté et revendu plus de 1 800 kilos d’or en très peu de temps, d’après les procureurs chiliens. À l’unisson des enquêteurs américains, ils estiment que l’essentiel était de la contrebande.

Le suspect était sous très haute surveillance

Ce soir-là, à l’aéroport de Santiago, Harold ressort d’ailleurs son histoire habituelle – des pièces d’or achetées auprès de clients puis refondues en lingots –, mais les douaniers sont sceptiques. Le laboratoire auquel Harold a fait appel pour certifier son stock n’apparaît pas dans les registres officiels. Les agents ne sont pas non plus convaincus que cet or soit constitué d’anciennes pièces. Harold n’en croit pas ses oreilles quand l’homme derrière le bureau appelle son supérieur, pour ensuite relayer les ordres de sa hiérarchie : si c’est l’or de Vilches, confisquez-le.

Les enquêteurs de la police judiciaire chilienne surveillent Harold depuis des mois : son téléphone est sur écoute et ses documents d’exportation examinés de près. Ce jeune est malin, cela ne fait aucun doute, mais pour qui travaille-t-il ? “J’étais persuadé qu’il recevait des ordres de quelqu’un”, admet José Luis Pérez, un procureur chilien chargé de l’affaire.

Après avoir confisqué son pactole à l’aéroport, les douaniers ont relâché Harold. Pendant plus d’un an ensuite, les autorités chiliennes vont le laisser importer de l’or de contrebande et le réexporter, le temps de monter leur dossier. Ils sont à la recherche d’associés et de donneurs d’ordres.

Ils vont intercepter les appels de Harold sur plusieurs téléphones, lire ses SMS et suivre ses coursiers. Ils vont observer des contrebandiers lui livrer de l’or venu du sud du Pérou, dans des zones désertiques reculées et des vallées andines, traversant en voiture un col enneigé dans l’ombre de l’Aconcagua (6 962 mètres) pour rejoindre Santiago et le QG de Harold, surnommé le “Bunker” par la police. C’est là qu’il évalue et pèse le précieux métal avant de rémunérer ses fournisseurs. Puis il le fait fondre pour obtenir des lingots, avant de le transporter par avion jusqu’à Miami – en personne, ou par l’intermédiaire d’un proche.

Au 80 millions de dollars ont transité par Vilches

À leur grande surprise, les policiers ne trouveront jamais l’organisation censée soutenir et protéger Harold. Malgré leurs suppositions initiales, l’enquête ne met pas au jour de plus gros poisson.

Harold est finalement arrêté en août 2016. Les enquêteurs affirment avoir les preuves que 80 millions de dollars d’or ont transité grâce à lui, via huit sociétés écrans créées au Chili et à Miami. Et il ne s’agirait que de la partie émergée de l’iceberg. Ils inculpent Harold et quatre associés – dont le père de son épouse et cette dernière – pour racket, contrebande, fraude douanière et blanchiment d’argent.

DES SOUDEURS RÉPARENT DES POMPES À EAU
UTILISÉES POUR EXTRAIRE L’OR À
PUERTO MALDONADO, AU PÉROU.
PHOTO TOMAS MUNITA 
Aucun n’est encore passé en jugement, et le dossier reste ouvert. Aujourd’hui, Harold vit avec son épouse dans un appartement situé dans un quartier délabré de Santiago. Il est assigné à résidence de 22 heures à 6 heures du matin.

Pour éviter la prison, Harold a accepté de livrer un témoignage très complet qui a permis aux procureurs chiliens et au département de la Justice des États-Unis de monter un gigantesque dossier sur le trafic illégal d’or à l’échelle internationale. Des interrogatoires avec des policiers et des procureurs au Chili et aux États-Unis, ainsi que des centaines de pages de rapports policiers, décrivent le rôle de Harold au sein du marché noir qui injecte chaque année des tonnes d’or, littéralement, dans l’économie mondiale – or dont l’extraction et le commerce sont illégaux.

Depuis le début des années 2000, la consommation mondiale de ce métal a augmenté d’environ 0,1 tonne par an, jusqu’à atteindre les 4 300 tonnes selon le World Gold Council [Conseil mondial de l’or, montant pour 2016], une association professionnelle sise à Londres. Les activités légales d’extraction n’ont pas suivi le rythme de la demande, c’est pourquoi des mines illégales, sous le contrôle de bandes criminelles, contribuent à combler ce déficit, de l’Amazonie à l’Afrique centrale, selon Verité, une ONG [implantée à Amherst, dans le Massachusetts] qui réalise des recherches sur le commerce illégal de l’or.

D’après une étude publiée en 2016 par cet organisme, cinq pays d’Amérique latine auraient acheminé aux États-Unis 40 tonnes d’or issu de mines illicites en l’espace d’un an, soit deux fois le volume des exportations légales de ces pays. Les exploitations sauvages en Amérique du Sud, dont la plupart se trouvent dans le bassin amazonien, sont des mines toxiques où des foules d’ouvriers utilisent des lances à incendie et du mercure pour extraire des pépites quasiment pures de la terre rouge.

Selon les Nations unies, le secteur prospère grâce au travail des enfants, il dévaste l’environnement et favorise la prostitution dans les camps de fortune qui se forment autour des mines. L’or passe d’un contrebandier à l’autre avant d’entrer dans un réseau de raffineurs et de négociants qui, tous, alimentent la demande mondiale.

DES BOUTIQUES DANS UNE RÉGION DÉVASTÉE PAR LES
MINES ILLÉGALES, PRÈS DE LA RÉSERVE NATIONALE DE
TAMBOPATA (PÉROU), EN 2016.
PHOTO THOMAS MUNITA
Harold, qui a grandi en ville, n’a jamais rien vu de tout cela. Mais l’or ne lui est pas étranger. Son père, Mario, possède une bijouterie ; son oncle Enrique est un pasteur évangélique qui dirige une chaîne de 18 boutiques de bijoux appelée Joyas Barón. Harold a commencé à travailler dans la bijouterie familiale dès l’âge de 15 ans. Un an plus tard, son père remplissait son sac à dos de sommes allant jusqu’à 50 millions de pesos [70 500 euros] et l’envoyait faire des dépôts à la banque.

En 2013, Harold est entré à l’université Mayor de Santiago pour étudier la gestion d’entreprise. Peu après, son père a fait un AVC et le jeune homme a abandonné une partie de ses cours pour se consacrer à l’entreprise. Quitte à se trouver dans cette situation, autant gagner beaucoup d’argent, a-t-il décidé. Ce qui impliquait de se lancer dans la vente d’or en gros.

SITE D'EXTRACTION DANS LA SAN COMMUNAUTÉ INDIGÈNE
DE JACINTO  DANS LA RÉGION DE MADRE DE DIOS AU PÉROU
 
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Sa première initiative a été de convaincre Gonzalo Farias, un exportateur de métaux à Santiago, de le recruter comme fournisseur. Harold a effectué sa première livraison en septembre 2013 – 30 kilos d’or achetés légalement au Chili – et il a réalisé plusieurs transactions similaires par la suite. Mais il voulait viser plus haut. Il a contourné Gonzalo Farias et conclu un accord directement avec l’un des clients de ce dernier, la société Fujairah Gold.

En juin 2014, Harold a signé un contrat pour 2 720 kilos d’or à livrer sous un an au siège de cette entreprise de Dubaï. L’accord prévoyait un envoi de 41 kilos le premier mois, puis des volumes plus importants. Harold n’ayant pas les moyens d’acheter autant d’or, l’entreprise lui a donné accès à un compte crédité de 5,2 millions de dollars. C’était la chance de sa vie : le contrat valait potentiellement plus de 100 millions de dollars [le prix du kilo d’or frisant les 37 000 dollars] et il lui était possible de gagner 2 millions de dollars sur un profit de 6 millions.

Les trafiquants utilisaient WhatsApp

C’était plus qu’ambitieux de la part du jeune homme, car il n’y avait pas assez de pièces et de bijoux en or disponibles au Chili pour satisfaire les commandes de Fujairah Gold. C’est ainsi que Harold a décidé de devenir trafiquant. Rien n’aurait pu être plus simple : il lui a suffi de chercher “marchands d’or au Pérou” sur Google et de contacter Rodolfo Soria Cipriano, l’un des exportateurs les plus prolifiques du pays selon le journal péruvien El Comercio.

La réponse ne s’est pas fait attendre. Harold a expliqué aux enquêteurs que Rodolfo Soria Cipriano lui avait promis autant d’or qu’il le souhaitait tant qu’il aurait les liquidités nécessaires. Il affirme qu’il n’a pas demandé d’où venait l’or. Quelle qu’ait été sa provenance, il s’est soustrait aux contrôles douaniers et a importé l’or au Chili sans payer ni taxes ni droits de douane, précisent les procureurs.

Rodolfo Soria Cipriano a présenté Harold à un réseau de fournisseurs, avec qui le jeune homme a ensuite organisé des transactions via [l’application de messagerie] WhatsApp. Quand l’or était prêt à être récupéré, il allait en avion à Arica, dans le nord du Chili, où une berline Mazda l’attendait pour ses déplacements au Pérou. Une dizaine de fois à partir de la mi-2014, Harold et son beau-père se sont rendus dans la ville péruvienne de Tacna, à quelques kilomètres de la frontière, avec l’intérieur des portes de la voiture rempli de billets. Les sommes pouvaient atteindre 2 millions de dollars.

2014, l’année des premiers ennuis juridiques

Harold a fini par se rendre jusqu’à cinq fois par mois au Pérou. Il employait aussi des coursiers pour lui livrer directement des cargaisons à Santiago. Le tout lui a permis de s’acquitter de plusieurs livraisons auprès de Fujairah Gold en passant par des compagnies de fret aérien.

Jusqu’à ce que, en août 2014, les douaniers de l’aéroport d’Arica arrêtent deux de ses coursiers en possession d’un peu plus de 47 kilos d’or. La paperasse et les explications du duo ne les ont pas convaincus. L’or a été confisqué et Harold a connu ses premiers ennuis juridiques : une affaire de fraude fiscale qui n’est toujours pas résolue.

Harold a décidé d’abandonner Fujairah Gold. Respecter les termes du contrat aurait nécessité des dizaines de voyages. Et l’expédition des stocks à Dubaï comportait des défis logistiques considérables. Quand l’entreprise s’est enquise de ses livraisons en retard, Harold a inventé des excuses. Mais les avocats de la société émiratie étaient convaincus qu’il mentait. Ils le soupçonnaient de vendre à d’autres entreprises en douce. Fujairah Gold est aussi arrivée à la conclusion que l’or était illégal.

Près de deux ans plus tard, Harold a pour la première fois été confronté à des poursuites pénales pour fraude et détournement de près de 5,2 millions de dollars appartenant à Fujairah Gold – l’entreprise cherche encore à recouvrer les sommes en jeu.

PORTRAIT DE HAROLD VILCHES
PHOTO PARQUET DU CHILI
À mesure que sa relation avec Fujairah Gold se détériorait, Harold s’est mis en quête de nouveaux acheteurs. Il savait que certains de ses clients chiliens vendaient l’or acheté au Pérou à NTR Metals Miami. Rodolfo Soria Cipriano s’est chargé des présentations. “Le comité de conformité de l’entreprise a donné son accord en plus ou moins trois semaines”, a déclaré le Chilien au FBI.

Trey Gum, le directeur juridique d’Elemetal, la maison mère de NTR Metals, affirme quant à lui que l’entreprise n’est devenue partenaire de Harold qu’après un déplacement de leurs représentants au Chili. “Selon les informations obtenues par NTR Metals Miami, M. Vilches venait d’une famille de bijoutiers proches de la communauté évangélique”, a écrit l’avocat dans un courriel.

Pour préserver les apparences, Harold voulait fabriquer des lingots avec un sceau indiquant leur poids et un indice de pureté. Ce n’était pas une mince affaire : il avait vu son père le faire mais il ignorait comment s’y prendre. Quand il a branché une machine d’importation pour faire fondre l’or, celle-ci a provoqué un court-circuit et empli son bureau de fumée noire. Il avait négligé d’acheter un transformateur pour utiliser ce matériel sur le réseau électrique chilien, au voltage trop élevé.

Harold et son beau-père ont finalement appris à fondre les lingots eux-mêmes en regardant des vidéos sur YouTube.

Qui savait quoi sur l’origine de l’or?

En décembre 2014, Harold a fait sa première livraison à NTR Metals Miami : une valise pleine de petits lingots d’or. Ainsi s’est conclue sa première année complète dans le milieu, au cours de laquelle il avait expédié, d’après les documents d’exportations cités dans l’enquête judiciaire, 1 414 kilos d’or évalués à 57,4 millions de dollars.

Grâce aux déclarations de Harold et à ses communications par téléphone, courriel et SMS – autant d’éléments partagés avec les enquêteurs des États-Unis –, les procureurs chiliens affirment disposer de suffisamment de preuves pour démontrer que NTR Metals avait connaissance de la provenance frauduleuse du métal.

D’après la déposition de Harold au FBI, deux directeurs de l’entreprise, Renato Rodriguez et Samer Barrage, l’ont convoqué à Miami au début de l’année 2015 pour lui faire une proposition audacieuse. “Ils m’ont demandé de trouver un fournisseur en Afrique”, raconte-t-il. Les cadres de NTR Metals lui auraient suggéré d’organiser une opération clandestine pour un volume d’une tonne par mois.

“Ils m’ont dit qu’en raison des directives de conformité ils ne pouvaient pas recevoir d’or en provenance d’Afrique, a avoué Harold au FBI, alors ils ont proposé que j’exporte l’or d’Afrique vers le Chili avant de le réexpédier à Miami.”

Harold s’est envolé pour Dar es-Salaam, en Tanzanie, où il a passé près d’un mois à examiner des butins et à négocier avec des marchands implantés en Afrique du Sud et au Cameroun. Il a confié au FBI qu’il était “en contact permanent avec Renato et Samer” pour déterminer les voies maritimes envisageables. Mais il s’est fait escroquer de 300 000 dollars par un individu qu’il croyait être un fournisseur. Toute cette affaire en Tanzanie l’a troublé.

Un jour, selon ses dires, il a été accosté par deux véhicules et des hommes armés (ils appartenaient sans doute aux forces de sécurité du gouvernement) qui l’ont traîné dans une pièce crasseuse pour l’interroger pendant des heures sur ses activités en Tanzanie. Il s’est estimé heureux de s’en sortir vivant.

LE BUNKER OÙ VILCHES A TRAITÉ DE L'OR
 
PHOTO TOMAS MUNITA
Les deux cadres de NTR Metals ont nié avoir proposé à Harold de se rendre en Afrique. “D’ailleurs, en 2015, il nous a demandé si nous achetions en Afrique, a écrit Renato Rodriguez dans un courriel. Je lui ai répondu sans détour que ce n’était pas le cas et que NTR évitait ce marché.

Un QG plus sécurisé qu’une banque

Malgré les revers subis en Tanzanie, l’année 2015 a été bonne pour Harold. Il a acheté une maison valant 1 million de dollars près d’un lac avec des nénuphars et des cygnes. Il a également investi 150 000 dollars dans un bâtiment ultrasécurisé à Recoleta, un quartier de Santiago où des chiens errants écument les rues jonchées de déchets. 

Des murs hauts de plus de trois mètres, couverts de graffitis et surmontés de barbelés, encerclent un bâtiment de deux étages équipé de fenêtres et portes blindées. Des cloisons renforcées et 32 caméras de sécurité protégeaient le saint des saints. La touche finale consistait en un système de gaz lacrymogène. “Même dans une banque, les mesures de sécurité et de protection ne sont pas aussi sophistiquées”, affirme le procureur chilien José Luis Pérez.

C’est là que Harold trimait, généralement seul, à transformer son or en lingots standards – une étape nécessaire pour ne pas éveiller les soupçons à la douane. Chaque brique était marquée de son poids précis et d’un indice de pureté, ainsi que du sceau d’Aurum Metals, une entreprise qu’il avait créée à Miami. C’est aussi dans le bunker que Harold cachait son argent liquide et falsifiait les justificatifs.

LINGOTS SAISIS EN 2014 SUR DEUX COURSIERS
DU TRAFIQUANT D’OR HAROLD VILCHES.
PHOTO DOUANES CHILIENNES
Le jeune Chilien a expliqué aux enquêteurs que les directeurs de NTR Metals lui avaient conseillé de faire des vidéos du processus de raffinement afin d’attester la provenance réglementaire de l’or. Ce qu’il a fait : ses brochures marketing le montrent, tout sourire, en train de verser le liquide d’une fiole tel un lycéen en cours de chimie. À ceci près que le liquide en question est de l’or.

NTR Metals Miami est l’une des 49 succursales de NTR Metals, également connue sous le nom d’Elemetal Direct, l’une des huit divisions de la société Elemetal, qui a son siège à Dallas. Elemetal Direct vend de l’or en lingot pur à 99,99 %, dont la provenance légale est certifiée par des associations professionnelles. Parmi celles-ci, la London Bullion Market Association, l’organe d’autorégulation du secteur, dont le conseil d’administration regroupe des représentants de grandes banques et des négociants d’or.

Un autre certificat est délivré par la Conflict-Free Sourcing Initiative [initiative pour l’approvisionnement en dehors des zones de conflit] de l’Electronic Industry Citizenship Coalition [Coalition citoyenne du secteur de l’électronique]. Il concerne la fonderie d’Elemetal située dans la ville de Jackson, dans l’Ohio. Pour renouveler cette certification tous les ans, Elemetal charge des auditeurs d’examiner les documents relatifs aux achats et aux importations, de visiter la fonderie et d’interroger les employés sur la provenance de l’or.

Pour Amjad Rihan, ancien auditeur à Ernst & Young, spécialiste des chaînes d’approvisionnement de matières premières, il n’est pas compliqué de berner ses anciens pairs. Lui travaille aujourd’hui pour Martello Risk, un cabinet de conseil londonien qui aide les entreprises à inspecter la chaîne logistique afin de déceler les minerais illicites. “Le problème, c’est que ces audits ne vont pas au-delà de la paperasse”, résume-t-il.

Les certifications sont pourtant essentielles à l’ensemble du secteur. En Europe et aux États-Unis, les entreprises doivent faire en sorte que leurs fournisseurs ne s’approvisionnent pas auprès de mines qui financent des conflits. Par conséquent, elles achètent de l’or à des sociétés dont la chaîne d’approvisionnement est certifiée transparente.

On se bouscule pour écouter le repenti

Le certificat accordé à la fonderie de Jackson est donc un atout précieux qui a permis à Elemental de fournir 68 groupes en 2015, dont Alphabet [la maison-mère de Google], Apple, Ford, General Electric, General Motors et HP, selon l’ONG Verité.

Selon Trey Gum, l’avocat d’Elemetal, NTR Metals Miami a mis un terme à sa collaboration avec Harold le 1er juin 2016, le jour où il a été inculpé de fraude, et l’entreprise aurait “signalé l’affaire aux autorités concernées”.

Afin d’éviter une peine d’emprisonnement de plusieurs années pour blanchiment et fraude fiscale, Harold a accepté de coopérer avec la police des États-Unis et du Chili. En octobre 2016, des agents du FBI et des représentants du procureur à Miami se sont rendus au Chili pour interroger Harold. D’après des sources proches de l’enquête, quand ils ont été persuadés que ses informations étaient valables, ils lui ont proposé l’immunité judiciaire aux États-Unis en échange d’un témoignage sous serment.

Pendant les longs interrogatoires du trafiquant, les agents du FBI et les détectives chiliens ont été à la fois fascinés et amusés. Plus de quinze représentants de la loi s’entassaient dans une salle de réunion à Santiago 1, un gigantesque centre pénitentiaire. Harold se nourrissait de leur curiosité. Il riait, ne semblant pas prendre la mesure de la gravité de sa situation. Ses confessions s’apparentaient à un spectacle, selon l’un des enquêteurs. “Il ne manquait que le pop-corn”, se souvient-il en riant.

La réglementation chilienne en matière d’exportations a été renforcée après l’affaire Harold Vilches. Un marchand d’or compare les nouvelles procédures à quelque chose comme “Face au mur, les mains en l’air !”. Des douaniers d’Équateur, de Bolivie et du Pérou se sont rendus au Chili pour échanger des informations et comparer leurs notes. José Luis Pérez s’en félicite, mais ne se fait pas d’illusion.

Si Harold, qui n’avait aucun atout particulier, si ce n’est son audace, a réussi à aller si loin dans le commerce illégal d’or, qui d’autre ne pourrait en faire autant ? “Il y a sûrement une centaine de personnages comme lui en Amérique latine, conclut-il. C’est plus facile qu’il n’y paraît.”