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vendredi 27 janvier 2017

LA FABRIQUE DE LA HAINE : XÉNOPHOBIE ET RACISME AU CHILI

XÉNOPHOBIE ET RACISME AU CHILI


La vague d'arrivants récents en provenance d'Haïti et du Venezuela a incité les candidats à l'élection présidentielle du Chili à tirer parti et à stimuler le sentiment anti-immigrant, ce qui en a fait une question clé dans la campagne pour les législatives et la présidentielle chiliennes prévues pour le 19 novembre de cette année.  
Patrick Saint-Pré

AGRESSION XÉNOPHOBE À UNE FAMILLE
HAÏTIENNE DANS LA VILLE DE
SAN FELIPE AU CHILI
Au Chili, la succession de la socialiste Michelle Bachelet, qui ne peut briguer un nouveau mandat le 19 novembre prochain, pourrait ramener au pouvoir la droite, qui remporta les municipales d'octobre 2016. L'ex-président de centre droit Sebastián Piñera est le favori des pré-sondages, talonné par le journaliste et sénateur indépendant Alejandro Guillier.  

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Principal candidat de la coalition de droite, Sébastien Piñera annonce la couleur en blâmant les anciennes lois chiliennes sur l'immigration, écrites dans les années 70, responsables, selon lui, d’importer des problèmes comme la délinquance, le trafic de la drogue et le crime organisé. Avec surtout dans sa ligne de mire les arrivées massives de migrants haïtiens qui ont augmenté de 144% en 2015, alors que celles du Venezuela, en récession, ont grimpé de 192%. 


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LE MILLIARDAIRE CONSERVATEUR SEBASTIÁN PIÑERA, ANCIEN  PRÉSIDENT DU CHILI. INITIALEMENT EMPLOYÉ DE BANQUE, AU MOYEN DE MONTAGES JURIDIQUES ET FINANCIERS DOUTEUX,  EST DEVENU PROPRIÉTAIRE D'UN EMPIRE QUI S'ÉTEND DE L'AVIATION, LES MINES, LES MÉDIAS, L'IMMOBILIER ET À LA PHARMACEUTIQUE.
«Beaucoup de gangs criminels au Chili, comme ceux qui clonent des cartes de crédit, sont des étrangers, ce qui est particulièrement grave dans les régions où les immigrants représentent un pourcentage important de la population», a déclaré Piñera, un milliardaire de centre-droit. 

La politique latino-américaine a rarement présenté ce type de critique sur les immigrants à des fins électoralistes, à droite et à gauche, ce qui n’est pas sans rappeler parfois le langage qui a contribué à l’élection de Donald Trump aux États-Unis, au succès de Nigel Farage en Grande-Bretagne et à la remontée de Marine Le Pen dans les sondages en France. 

Alejandro Guillier, en pole position dans les sondages pour obtenir le soutien du bloc de gauche chilien, a déclaré que le Chili avait besoin d'une « politique migratoire plus sélective ». Guillier représente la région minière du nord d'Antofagasta, qui a connu des niveaux d'immigration parmi les plus élevés et qui a souffert économiquement du récent ralentissement des matières premières. 

Faire de l'immigration un des piliers de la campagne présidentielle de 2017 pourrait approfondir les clivages dans la société chilienne, disent les législateurs concernés, les responsables gouvernementaux et les leaders communautaires, inquiets que les arrivants récents puissent devenir des boucs émissaires pour les maux du pays. 

Les candidats «voient qu'ils peuvent profiter politiquement et commencer à utiliser la rhétorique nationaliste, rabattre beaucoup de problèmes de la nation sur les immigrants», a déclaré le sénateur indépendant Pedro Araya. Le bureau des migrations du gouvernement chilien a déclaré que les immigrants commettaient moins de crimes proportionnellement que les Chiliens. Le secrétaire général de l'Intérieur, Mahmud Aleuy, a qualifié les propos de Piñera d’«extrêmement irresponsables». 

Pourtant, la présidente de centre-gauche Michelle Bachelet, qui s'efforce de renforcer sa cote de popularité, s'est engagée à présenter prochainement un projet de loi visant à réviser les règles d'immigration. Elle n'a pas encore révélé de détails. 

Les données des sondages montrent qu'une position de ligne dure peut être bien vue par les électeurs. 

Quelque 75 pour cent des personnes interrogées lors d’une enquête en décembre ont déclaré que le Chili devrait adopter des politiques d'immigration plus strictes, et 45 pour cent ont déclaré que l'immigration était mauvaise pour la nation, comparativement à 41 pour cent qui disaient que c'était bon. 

Hausse de l'immigration 

Ces dernières années, la croissance économique et la stabilité du Chili en ont fait une destination attrayante pour les autres pays sud-américains, mais aussi pour les migrants de la République dominicaine et d'Haïti, pays le plus pauvre d'Amérique latine. 

L'immigration au Chili demeure faible proportionnellement comparée à la plupart des pays développés, mais elle a quintuplé au cours des 30 dernières années, selon les statistiques du service d'immigration du gouvernement. 

Les arrivées d'Haïti ont augmenté de 144% en 2015, alors que celles du Venezuela, en récession, ont grimpé de 192%. 

Les groupes d'immigrants se plaignent d'être traités comme des boucs émissaires par des politiciens qui cherchent à gagner du terrain. 

« Ce discours est utilisé pour nous diviser et créer un sentiment de nationalisme », a déclaré l'émigrant haïtien Emmanuel Ciméus, qui dirige une organisation pour les immigrants de son pays. Ciméus dit avoir vu des gens dans les rues hurler des épithètes raciales et crier « criminels, rentrez chez vous » à ses compatriotes. 

Les politiciens doivent être plus prudents avec leurs mots, a déclaré Laurence Blair, analyste du Chili pour The Economist Intelligence Unit. Mais il a dit qu'il était «prudemment optimiste» que le pragmatisme prévaudra quand il s'agit de mettre en œuvre réellement la politique. « Nous n'allons pas voir un mur construit à la frontière avec le Pérou ou la Bolivie », a-t-il dit. « Le Chili n’imitera pas Trump à 100%. »