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mercredi 21 septembre 2016

« TOUT VA BIEN » : L’INDOLENCE DE LA JEUNESSE CHILIENNE NANTIE


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PHOTO ARIZONA FILM
En septembre 2013, au Chili, un jeune homme ivre au volant d’une voiture pleine de camarades aussi saouls que lui, renverse un piéton, et s’enfuit. La police identifie le groupe, les conclusions de l’autopsie aggravent encore le cas des jeunes gens : s’ils avaient porté secours au piéton, ce dernier aurait pu survivre au choc. La conclusion du fait divers devrait être simple, pourtant le chauffard est acquitté de toutes les charges retenues contre lui. Il se trouve être – et personne dans le pays n’y verra un hasard – l’un des douze rejetons de Carlos Larrain, avocat et ex-sénateur, à la tête du parti de centre-droite Renovacion Nacional.
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On imagine aisément le film engagé rageur et efficace que ce fait divers, qui connut à l’époque un retentissement considérable, aurait pu inspirer. Le jeune réalisateur chilien Alejandro Fernandez Almendras, dont Tout va bien est le quatrième long-métrage, fait pourtant le pari d’aborder sa matière par un chemin de traverse (s’intéressant à peine au chauffard, il adopte le point de vue d’un passager dans la voiture) et, en refusant constamment d’amoindrir ses ambitions de cinéma au profit de la belle cause, porte cette dernière plus haut, plus fort, plus subtilement.

CONTRE L’HISTOIRE VRAIE QUI INSTRUMENTE LE FALOT, ALEJANDRO FERNANDEZ ALMENDRAS LUI DONNE DROIT D’EXISTER À PART ENTIÈRE

AFFICHE DU FILM
Tout va bien invite son spectateur à suivre la trajectoire guère enthousiasmante de Vicente (Agustin Silva), jeune homme sans grands défauts ni envergure – l’un de ces compagnons de fête dont on ne dit ni beaucoup de bien, ni beaucoup de mal, et dont personne ne s’aperçoit qu’ils sont rentrés chez eux avant la fin. On devine d’ici le candidat idéal pour porter le chapeau, ce qu’il est, et à quoi le film refusera constamment de le réduire. C’est la principale raison, sans doute, pour laquelle on s’attache à son destin : contre l’histoire vraie qui instrumente le falot, Alejandro Fernandez Almendras lui donne droit d’exister à part entière, dans toute sa médiocrité, son insouciance un peu forcée, cette absence d’ambition qu’il partage – c’est là toute la force du portrait – avec une génération entière d’indolents jeunes nantis.

Corruption éhontée

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Dès lors, la lecture évidente du fait divers en symptôme d’une corruption éhontée gangrénant les institutions nationales s’enrichit d’une hypothèse moins facile, et peut-être plus corrosive encore à l’échelle sociétale. Il n’est guère besoin d’une guerre pour vivre en lâche. Vicente, et tous ses compagnons de fête, ont fait sans le savoir de la lâcheté – devant la vie et ses promesses, les autres et leurs besoins, l’Histoire – un art de vivre qui autorise, voire appelle, dans le tableau des Martin Larrain (Larrea dans le film) meurtriers et impunis.

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Leur inaction, qui cautionne par défaut un système véreux, en devient une forme de culpabilité par ricochet, que la condamnation en lieu et place d’un Larrain, ou d’un autre du même acabit, vient sanctionner, peut-être plus encore qu’elle ne révèle, le fonctionnement des institutions, qu’aucun n’ignore (« Ce sont les Larrea ! » dira-t-on plusieurs fois en haussant les épaules, comme on dirait « C’est le destin ! » ou « C’est la vie ! »). « Ce sont les Larrea ! » et cela ne changera guère à moins d’un réveil des endormis qui partagent avec eux des boissons trop chargées, et montent ensuite dans leurs voitures.

ALEJANDRO FERNÁNDEZ ALMENDRASNTIE
PHOTO  JULIETTE FELIX

Film chilien d’Alejandro Fernandez Almendras avec Agustin Silva, Paulina Garcia, Alejandro Goic, Luis Gnecco (1 h 35). Sur le Web  Arizonafilms