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mardi 31 mars 2015

LA BATAILLE POUR L’EAU D’UN PETIT VILLAGE CHILIEN CONTRE UN GÉANT MINIER

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PHOTO JOURNAL EL DÍA
Les villageois de Caimanes, au Chili, viennent de remporter une victoire judiciaire contre le géant Antofagasta, qui a construit un énorme réservoir de déchets miniers en amont de leur communauté. Cette décision de justice, ordonnant à l’entreprise de restaurer le cours naturel de l’eau, constitue une première dans le pays. Mais sa mise en oeuvre n’est pas assurée au vu des relations étroites entre les intérêts miniers et le pouvoir, dans un contexte où l’accès à l’eau est indispensable à la survie de l’industrie minière.
Leur combat dure depuis dix ans, et la justice
LOS PELAMBRES MINE DE CUIVRE , CHILI
chilienne vient de leur accorder une nouvelle victoire. Les villageois de la communauté de Caimanes, au Nord du Chili, dénoncent la construction, par l’entreprise Antofagasta, d’un immense réservoir destiné à accueillir les déchets de la mine de cuivre géante de Los Pelambres, quelques kilomètres en amont de leur village.




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DIAGRAMME DU BARRAGE DE RÉSIDUS MINIERS PROVOQUE L'APPROPRIATION DU DROIT DES EAUX, LA JUSTICE VIENT DE DONNER RAISON AUX VILLAGEOIS

Depuis la construction de ce barrage, les communautés en aval ne recevaient presque plus d’eau. Le géant minier chilien accusait la sécheresse sévissant dans la région, mais la justice vient de donner raison aux villageois, en ordonnant à Antofagasta de rétablir le cours naturel de l’eau.

Elif Karakartal, pour la Coordination Eau Ile-de-France, rappelle combien la lutte fut difficile pour les citoyens de Caimanes [1] :


La lutte s’est engagée dès le début sur le terrain juridique, avec de grandes difficultés dans les premières années lorsque les avocats trahissent leurs clients en passant un accord avec la mine pour annuler une résolution de la cour d’appel qui mettait fin à la construction du reservoir. Une lutte de titans face à la famille propriétaire de Minera Los Pelambres, Luksic, aussi connue comme « patronne du Chili », tant son pouvoir lui permet d’influencer les partis politiques en place et d’utiliser les institutions pour imposer ses projets. En 2012, non contente d’avoir réussi à imposer un projet dont on savait qu’il condamnait la vallée, l’entreprise réussit le tour de passe-passe de traîner les nouveaux avocats de la communauté sur les bancs des accusés pour vouloir s’enrichir sur le compte de la cause environnementale [2], et ce alors même que la justice chilienne n’avait pas étudié les impacts de ce réservoir, le plus grand d’Amérique Latine.

Si les villageois de Caimanes avaient réussi à s’attirer des soutiens internationaux, la stratégie de division de la communauté choisie par l’entreprise a laissé des traces. Et outre l’assèchement de leurs ressources en eau, les habitants dénoncent aussi la pollution issue des millions de tonnes de déchets miniers accumulés dans le réservoir d’El Mauro. La décharge est située juste au-dessus des nappes phréatiques approvisionnant la région. Des analyses menées par un chercheur de l’université du Chili, confirmées par la police scientifique chilienne, ont démontré une contamination aux métaux lourds (mercure, zinc, cadmium manganèse) rendant l’eau impropre à la consommation humaine ou animale et même pour l’irrigation. Les habitants sont obligés d’acheter leur eau au prix fort à une entreprise privée, par bidon de 20 litres [3]. Sans parler, puisqu’il s’agit du Chili, du risque sismique : un tremblement de terre pourrait entraîner le déversement de millions de tonnes de déchets toxiques dans les vallées en aval.

Restauration sans conditions du cours naturel de l’eau

En octobre dernier, la Cour suprême chilienne avait jugé Antofagasta responsable de la disparition des ressources en eau en aval de son barrage, lui ordonnant d’y remédier en restaurant le cours des eaux. Ce jugement n’avait pas été suivie d’effets. Les riverains ont alors bloqué le site pendant plus de deux mois pour faire bouger l’entreprise et l’État chilien. Entre-temps, les relations entre la famille Luksic et les plus hautes autorités chiliennes ont fait les grands titres des médias, après la révélation d’un prêt de 10 millions d’euros accordé par la Banque du Chili, appartenant au même groupe Luksic, au fils de la présidente Michelle Bachelet, le lendemain de l’élection de celle-ci. Finalement, le 9 mars 2015, le tribunal de commerce a jugé le plan de restauration environnementale présenté par Antofagasta insuffisant, et lui a ordonné de détruire purement et simplement le barrage. Pour Elif Karakartal, il s’agit d’une « sentence sans précédent au Chili, qui exige le retour de la nature à son état initial avant toute intervention humaine et sans aucune compensation artificielle ». L’entreprise a annoncé son intention de faire appel et s’est tournée vers le pouvoir exécutif pour trouver un moyen d’échapper à la sanction judiciaire.

La gestion de l’eau est un enjeu aussi crucial que sous-estimé pour les industries extractives, particulièrement dans cette région sèche du Nord du Chili. La possibilité pour les opérateurs miniers d’accéder à des quantités suffisantes d’eau et de se débarrasser de leurs déchets sans trop de complications est un élément essentiel de leur profitabilité. Les analystes financiers ne s’y trompent pas, puisque lorsque le verdict du 9 mars a été connu, le cours d’Antofogasta a dévissé à la Bourse de Londres. La mine de Los Pelambres a produit plus de 400 000 tonnes de cuivre en 2014, 7% de la production totale chilienne.

Quelques jours plus tard, l’entreprise annonçait d’ailleurs un accord avec les manifestants d’autres communautés de la zone, dont les ressources en eau ont elles aussi été affectées par la mine de Los Pelambres, impliquant la réalisation d’études en vue de la construction d’une unité de dessalement pour approvisionner la mine ainsi que d’un barrage pour sécuriser l’accès à l’eau des communautés. Des manifestations ont également eu lieu dans la ville d’Antofagasta elle-même contre le groupe minier. Et les inondations catastrophiques qui ont récemment frappé la région ont provoqué le débordement d’autres réservoirs de déchets miniers, provoquant un risque de contamination des eaux et des sols. Le devenir du réservoir El Mauro, en amont de Los Caimanes, quant à lui, est toujours en suspens.


Olivier Petitjean

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[1] Lire aussi le témoignage d’Elif Karakartal pour Basta !.

[2] Les accuses ont finalement été acquittés.


[3] Lire ici
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« ENFANTS CACHÉS DU GÉNÉRAL PINOCHET»

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COUVERTURE DU LIVRE «LES ENFANTS
CACHÉS DU GÉNÉRAL PINOCHET» 

«LES ENFANTS CACHÉS DU GÉNÉRAL PINOCHET : PRÉCIS DE COUPS D'ÉTATS MODERNES ET AUTRES TENTATIVES DE DÉSTABILISATION» 
Il paraît loin le temps où, en juin 1970, avant de contribuer au coup d'État qui renversa le président socialiste Salvador Allende et instaura la dictature du général Augusto Pinochet, Henry Kissinger déclarait à propos du Chili : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester tranquilles quand un pays devient communiste à cause de l'irresponsabilité de son propre peuple.»
Élaborée aux États-Unis, cette doctrine mortifère, 
LE DICTATEUR CHILIEN AUGUSTO PINOCHET SE SERRANT
LA MAIN AVEC HENRY KISSINGER EN 1976. PHOTO ARCHIVE
DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CHILI
 chaque fois inaugurée par un golpe, a été mise en oeuvre par les militaires en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Paraguay, au Pérou, en Uruguay, et par les gardes prétoriennes d'Amérique centrale.

Après de longues années de régimes autoritaires, l'Amérique latine a paru choisir définitivement la voie de la démocratie. Mais, avec des résultats sociaux catastrophiques, une démocratie placée sous la coupe du marché.

PRÉSIDENTS DE GOUVERNEMENTS PROGRESSISTES 
D'AMÉRIQUE LATINE.  ILLUSTRATION PÁGINA SIETE..
De sorte que, pendant toute la décennie quatre-vingt-dix, une question s'est posée : que se passera-t-il le jour où un gouvernement élu, considérant dévastateurs les effets d'un modèle présenté comme universel, remettra en cause les dogmes économiques du moment ? On connaît désormais la réponse - ou on devrait.

Alors qu'une vague de chefs d'État de gauche ou de centre gauche est arrivée au pouvoir depuis 1998, les golpes, putsch et autres tentatives de déstabilisation, parfois mis en échec, parfois réussis, ont affecté le Venezuela (2002), Haïti (2004), le Honduras (2009), la Bolivie (2010), l'Equateur (2011) et le Paraguay (2012).
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Toutefois, les techniques ont évolué. Les secteurs conservateurs ayant appris que, face à l'opinion internationale, les méthodes sanglantes se révèlent contre-productives, les recettes aussi astucieuses que sophistiquées employées permettent à ces sinistres opérations de ne plus être qualifiées de... coups d'État.

En quoi ces déstabilisations nous concernent-elles ? En 1973, l'Europe en général et la France en particulier exprimaient leur solidarité avec le Chili de Salvador Allende ; aujourd'hui, elles se montrent indifférentes, quand elles n'appuient pas implicitement les putschistes. Pourquoi ?

Quels sont les acteurs de cette mutation ? Et s'ils obligeaient à se poser une question dérangeante : que se passerait-il, chez nous, si la gauche - une gauche de rupture - arrivait au pouvoir démocratiquement ?


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MAURICE LEMOINE sera l'invité exceptionnel des Cafés Hyper-Républicains ! CAFE N°37 - SAMEDI 23 MAI 2015 - PARIS pl. de la Bastille « Amérique Latine : Coups d’État modernes et autres tentatives de déstabilisation »
Invité exceptionnel : M. Maurice LEMOINE, journaliste et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique.

CHILI. INONDATIONS : UNE CATASTROPHE PRÉVISIBLE ?

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En moins d’une semaine, les précipitations dans la région ont atteint un niveau équivalent à plus d’une année de pluie, emportant les maisons des villages, et provoquant des coulées de boue qui ont occasionné, selon un bilan provisoire, la mort de 17 personnes et la disparition d’une vingtaine d’autres. A Antofagasta, les précipitations ont même égalé en une seule journée le niveau de quatre années.

Un mineur sauvé en 2010 d’un accident de mine à Copiapó, après avoir passé soixante-neuf jours sous terre, a vu cette fois sa maison disparaître sous les eaux. Plus de 5 500 sinistrés sont toujours accueillis dans des abris et dépendent des aides envoyées par le gouvernement. La région est en état d’urgence et craint des séismes.

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Une anomalie climatique annoncée

Le désastre de ces derniers jours, explique un autre article de La Tercera, « provient d’un flux d’air froid en altitude dans la cordillère qui, en principe, ne touche pas cette région du nord du pays, et ce flux a transporté des courants venus de la zone équatoriale, chargés de vapeur d’eau ».

Le météorologue américain d’AccuWeather Jason Nicholls, un habitué de l’observation du climat en Amérique du Sud, indique à La Tercera que «l’anomalie climatique » qui a frappé le nord du Chili était annoncée dans tous les modèles de prévisions météorologiques. Le phénomène extrême qui a touché cette région réputée pour sa sécheresse pourrait être lié aux changements climatiques, même si les experts se refusent à établir un lien direct.

Se gardant d’évoquer un manque d’anticipation de l’événement par les services de météo du Chili, Jason Nicholls souligne qu’il espérait  que « les médias chiliens et les météorologues locaux auraient donné l’alerte ».

mercredi 18 mars 2015

NAOMI KLEIN : « EXXONMOBIL, BP, SHELL... ONT DÉCLARÉ LA GUERRE À LA PLANÈTE »

PHOTO KALPESH LATHIGRA

Égérie de la gauche nord-américaine, elle s'engage, avec un nouvel essai, dans la lutte contre le changement climatique. Et voit dans la crise actuelle une chance pour remettre en cause le système capitaliste… Voici la version longue d'un entretien paru dans «Télérama».


Elle s'était faite discrète, ces dernières années. On l'avait aperçue dans le parc Zuccotti, aux côtés des manifestants d'Occupy Wall Street, ou, plus récemment, soutenant les opposants au pipeline de Keystone. Sept ans après La Stratégie du choc, Naomi Klein, icône canadienne de la gauche nord-américaine, fait à nouveau entendre sa musique originale de « journaliste-chercheuse-activiste ». Tout peut changer, qui paraîtra le 18 mars prochain chez Actes Sud, décrypte les liens consanguins et mortifères entre capitalisme et changement climatique, au fil de pages aussi denses que passionnées, souvent personnelles, et fourmil­lant d'expériences, de chiffres, de faits. A quelques mois de la COP21, la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin 2015, voilà un essai implacable, offensif ET optimiste, car « oui, assure l'essayiste canadienne, le changement climatique nous offre une opportunité unique pour changer de système». 

Entretien exclusif.

Vous venez d'une famille de militants de gauche. Vos parents vous ont transmis le virus de l'activisme ?

Enfant, mes parents me traînaient sans cesse dans des manifestations et je détestais ça. A 10 ans, j'ai même annoncé à ma mère que je ne l'accompagnerais plus. J'étais une rebelle et une enfant des années 1980. Je me suis révoltée... en traînant dans les centres commerciaux ! Le déclic est venu plus tard, en particulier en 1989, après la tuerie de l'Ecole polytechnique de Montréal. Quatorze femmes ont été tuées par un jeune homme qui n'avait pas été accepté dans cette école et qui était convaincu que les femmes étaient favorisées (1) . Il s'est suicidé en laissant une lettre pleine de haine envers les féministes. J'ai décidé de me revendiquer féministe, j'ai commencé à écrire, mais je ne suis jamais devenue une manifestante. Même si je crois profondément aux mouvements sociaux de masse, je ne suis pas à l'aise dans une foule.

C'est étonnant, venant d'une égérie des grandes marches altermondialistes !

L'écriture est ma façon de m'engager. J'ai toujours voulu écrire des livres utiles aux mouvements sociaux dont je parle. Je me suis longtemps présentée comme activiste journaliste, mais je ne m'y retrouve plus vraiment. Je n'aime pas les étiquettes, pas seulement parce que j'ai écrit No logo... Mon travail est hybride, je croise l'enquête journalistique et la recherche scientifique. Quand j'écris un livre — celui-ci m'a pris cinq ans —, je me mets en retrait. Mais quand il sort, j'entre en campagne.

Je n'attends rien des dirigeants.

Où en est la contestation aux Etats-Unis, quinze ans après les grandes manifestations de protestation de Seattle à l'occasion du sommet de l'Organisation mondiale du commerce ?

La longue histoire contestataire américaine se poursuit, avec toutes sortes de mouvements sociaux qui évoluent, interagissent. Certains manifestants d'Occupy sont des enfants de Seattle, et beaucoup de Black Lives Matter (mouvement de protestation suscité par les morts de jeunes Noirs non armés provoquées par des policiers à Ferguson et à New York) viennent d'Occupy. Tout l'enjeu consiste à créer des passerelles entre ces luttes, leurs problématiques, leurs ancrages sociaux. Pour l'instant, ces mouvements paraissent plus éclatés, plus éphémères que leurs cousins européens ; ils souffrent de la décomposition du paysage syndical et de la méfiance vis-à-vis des institutions, bien plus marquées aux Etats-Unis qu'en Europe. Mais leur impact sur la société américaine est plus profond que ce que l'on peut voir dans les rues. Thomas ­Piketty n'aurait jamais eu un tel succès aux Etats-Unis s'il n'y avait eu Occupy, qui a exposé la question des inégalités. La gauche américaine s'intéresse de près à la victoire de Syriza en Grèce et aux progrès de Podemos en Espagne. Je suis convaincue que les mouvements sociaux vont trouver de nouveaux débouchés politiques aux Etats-Unis.

Peu d'entre eux font le lien entre les politiques d'austérité et la crise écologique, y compris Podemos et Syriza. Cette question est au coeur de Tout peut changer. Pourquoi est-elle cruciale?

Effectivement, les gens qui travaillent sur le changement climatique n'inter­agissent pas assez avec ceux qui luttent pour un meilleur partage des biens communs ou contre l'austérité, alors qu'il est évident que l'on parle d'une seule et même chose. Que nous dit le changement climatique ? Que notre système extractiviste — c'est-à-dire basé sur l'extraction intensive de nos ressources naturelles —, qui repose sur une croissance illimitée, une logique hyper compétitive et concentre le pouvoir dans les mains de moins de un pour cent de la population, a échoué. Ramener nos émissions de gaz à ­effet de serre aux niveaux recommandés par les climatologues implique une transformation économique radicale. C'est aussi une formidable occasion de changer car, avec ou sans réchauffement climatique, notre système ne fonctionne pas pour la majorité de la population. Le principal obstacle n'est pas qu'il soit trop tard ou que nous ignorions quoi faire. Nous avons juste assez de temps pour agir, et nous ne manquons pas de technologies « propres » ni d'une vision du monde capable de rivaliser avec le modèle actuel — un système économique plus juste, qui comble le fossé entre riches et pauvres, et redynamise la démocratie à partir de la base. Mais si la justice climatique l'emporte, le prix à payer pour nos élites sera réel. Je pense au manque à ­gagner du carbone non exploité par les industriels, mais aussi aux réglementations, impôts, investissements publics et programmes sociaux nécessaires pour accomplir ce changement.

Qu'attendez-vous du prochain sommet sur le climat, la COP21, qui se tiendra à Paris fin 2015?

Je n'attends rien des dirigeants. Mais le contexte de la COP est unique, car la mobilisation contre l'austérité est très puissante en Europe. J'espère vraiment que le mouvement contre les coupes budgétaires, celui contre le Tafta — le traité de libre-échange transatlantique — et celui pour le climat vont travailler ensemble pour exiger une transition post-carbone équitable, en se servant de la chute des prix pétroliers comme d'un catalyseur. La hausse des prix a été catastrophique, elle nous a précipités dans l'ère des énergies extrêmes, notamment en Amérique du Nord, avec la ruée sur le gaz de schiste et les sables bitumineux, la multiplication des pipelines, des terminaux d'exportation... Le mouvement pour le climat s'est retrouvé dans une position très défensive. La chute des prix du pétrole freine ces projets d'infrastructures, ces mirages d'eldorado économique et devrait encourager les mouvements ouvrier et environnemental à travailler ensemble.

“Je crois dans la force des mouvements sociaux pour faire pression sur nos gouvernants.”

Selon le sociologue Bruno Latour, si l'on veut être sérieux avec le changement climatique, il nous faut déclarer la guerre aux ennemis de la Terre...

Mais ExxonMobil, BP, Shell et les autres géants des énergies fossiles ont déjà déclaré la guerre à la planète, et à l'humanité ! Si on les autorise à exploiter les réserves de combustibles fossiles, la température augmentera de 4 à 6 degrés. Il faudrait plutôt leur répondre. Nous ne l'avons pas fait jusqu'à présent, voyez toutes ces ONG environnementales qui signent des partenariats avec des pollueurs, comme le WWF avec Shell. Idem pour les conférences des Nations unies sur le climat, financées... par le secteur des énergies fossiles depuis des années. J'ai bien peur que la COP21 ne batte tous les records, dans le contexte de crise budgétaire actuel, avec de multiples partenariats privés où l'on retrouvera les poids lourds du nucléaire, de l'eau, des transports...

Avec quelles armes pouvons-nous lutter ?

Il ne s'agit plus de cesser le sponsoring des conférences par ces grandes entreprises, mais de leur en interdire l'accès. Quand l'Organisation mondiale de la santé a négocié le traité anti-tabac, les grands ­cigarettiers ont eu l'interdiction de participer aux tractations, car elles portaient sur leur domaine. Shell, Exxon, etc., ne doivent pas prendre part aux discussions sur le climat.


28 JUIN 2010, TORONTO. NAOMI KLEIN DANS UNE MANIFESTATION EN SOLIDARITÉ AVEC DES MILITANTS ARRÊTÉS LORS DU G20. PHOTO LUCAS OLENIUK


On est loin de ce type de décisions !

Je crois dans la force des mouvements sociaux pour faire pression sur nos gouvernants, dénoncer la corruption qui gangrène les négociations. La « blocadie », ces poches de résistance qui s'opposent aux ambitions des sociétés minières, gazières et pétrolières, est en train de tisser un réseau mondial de militants enraciné et diversifié comme en a rarement connu le mouvement vert. Quand j'ai commencé le livre, beaucoup n'avaient pas encore vu le jour ou ne représentaient qu'une petite partie de leur ampleur actuelle. Regardez la campagne de « désinvestissement », lancée en 2012 par 350.org, l'ONG créée par Bill McKibben et dont je fais partie. Nous sommes partis d'un constat simple : puisque les industries des combustibles fossiles déstabilisent le climat de la planète, toute institution qui prétend servir des intérêts publics a la responsabilité morale de céder les actions qu'elle détient dans ces industries. Car c'est eux ou nous.

Pourquoi avoir pensé au «désinvestissement»?

Bill et moi avions lu une enquête du « Carbon Tracker Research », qui montrait que l’industrie des combustibles fossiles possède cinq fois plus de dioxyde de carbone en réserve que l'atmosphère ne peut en absorber si l'on veut maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C. Ce rapport s'adressait aux investisseurs, deux ans après le krach immobilier, pour les avertir du risque d'une nouvelle bulle : étant donné que ces industries ne pourraient pas brûler cinq fois plus de carbone, ces réserves en hydrocarbures risquaient d’être perdues.

J’ai lu le rapport et j’ai pensé « Mais non, ce n’est pas ça ! » En réalité, cet avertissement n'était pas destiné aux investisseurs, mais à nous tous. Car Shell, Exxon et les autres mentent : les engagements de Copenhague n’étant pas contraignants, les pétroliers prévoient bien de brûler leurs réserves de carbone. Alors, comment agir ? Comment faire en sorte que les extracteurs deviennent la bulle qui va éclater, et non pas nous ? Nous avons eu l’idée du désinvestissement. Encore une fois, c'est eux ou nous. Le message est passé : en six mois, les groupes appelant au « désinvestissement » se sont répandus aux Etats-Unis, sur plus de trois cents campus et une centaine de villes, Etats et organisations religieuses. Je n'ai jamais vu un combat qui se soit propagé aussi vite ! Depuis, la vague a gagné le Canada, l'Australie, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne. Les villes de San Francisco et de Seattle ont annoncé qu'elles allaient « désinvestir ». Et la plus belle victoire a été remportée quand l'université de Stanford, dont la fondation gère un portefeuille de 18,7 milliards de dollars, a décidé de vendre ses actions dans le secteur du charbon.

“Agir contre le réchauffement est une question de justice intergénérationnelle.”

La puissance du mouvement vient aussi du fait qu'il est mené par des jeunes gens, des étudiants qui disent à leurs administrateurs : votre job est de me préparer pour le futur, comment est-ce possible si vous investissez notre argent dans les industries qui hypothèquent notre avenir ? C'est une question de justice intergénérationnelle que les jeunes comprennent instantanément. A partir du moment où l'on insiste sur le fait que le développement de ces secteurs est en conflit avec la vie sur terre, nous ouvrons de nouvelles possibilités d'actions. Il devient légitime de taxer les profits, d’augmenter les royalties voire de nationaliser ces sociétés qui menacent nos vies. Car nous avons aussi un droit sur ces profits, pour financer la transition énergétique, la facture de cette crise majeure. Cela nous ramène aussi à la question des partenariats entre beaucoup d’ONG écologiques et les industries de combustibles fossiles, partenariats basés sur l’idée que nous sommes tous dans le même bateau. Mais c’est faux et les gens le savent bien, surtout les jeunes ! Je suis également convaincue que les gens sont prêts à lutter depuis très longtemps, mais le mouvement environnemental n'a jamais déclaré la guerre jusqu'à présent !

Quelle lutte vous a le plus inspirée ?

Sans hésitation le mouvement de résistance contre l'oléoduc du Northern Gateway en Colombie-Britannique, car il rassemble des populations indigènes et non indigènes d'une manière inédite dans l'histoire du Canada. Ensemble, elles luttent pour l'essentiel — la santé de leurs enfants, la préservation de l'eau, de leurs terres. Jamais je n'aurais cru voir changer les mentalités de mon pays aussi rapidement. C'est un magnifique exemple de ces nouvelles mobilisations qui utilisent l'arsenal technologique moderne, les médias sociaux, tout en étant profondément implantées dans une communauté et en travaillant avec les outils plus traditionnels de la mobilisation.

Notre salut se trouverait dans l'action locale ?

Personne ne résoudra cette crise à notre place. Et nous avons tous besoin de nous battre à partir d'un lieu, d'avoir les pieds bien ancrés dans la terre, et non flottant dans l'espace. Le mouvement environnementaliste est enfin en train de revenir sur terre, de se ré-enraciner. Depuis des années, l'image de la planète vue du ciel sert d'icône aux militants écologistes, aux sommets sur le climat, mais la perspective de l'astronaute est dangereuse, si loin de la réalité. La Terre des photos de la Nasa semble si jolie, si propre, comme l'écrivait Kurt Vonnegut en 1969. « On ne voit pas les Terriens affamés ou en colère à sa surface, ni leurs gaz d'échappement, leurs égouts, leurs ordures et leurs armes sophistiquées. » Avec cette vision « globale », les sources de pollution deviennent de simples pièces sur un échiquier géant : telle forêt tropicale va absorber les émissions des usines européennes, des champs de maïs vont remplacer les puits de pétrole pour fournir de l'éthanol... Et on perd de vue les êtres qui, sur place, sous les jolis nuages coiffant notre globe, font face à la dévastation de leur territoire ou à l'empoisonnement de l'eau. Je suis convaincue qu'un mouvement environnementaliste s'appuyant sur la mobilisation locale de gens qui veulent préserver les terres qu'ils aiment sera plus honnête et réaliste.

Aucune de ces batailles ne peut remplacer les indispensables politiques de réduction d'émissions de gaz au niveau planétaire. Comment passer à une échelle plus large ?

Les deux mouvements vont de pair. La position du gouvernement français contre le gaz de schiste a été prise après des mobilisations locales. Dans l'Etat de New York aussi tout a commencé par des luttes de terrain. Nous sommes moins isolés les uns des autres que nous ne l'étions il y a dix ans, grâce aux médias sociaux, qui permettent de rendre virales des actions locales et de les articuler à un débat planétaire, d'une portée et d'une influence sans précédent. Nul besoin d'un mouvement tout neuf qui réussirait comme par magie là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Mais cette crise, qui nous place devant une échéance inéluctable, peut pousser tous ces mouvements sociaux à se rassembler, tel un puissant fleuve alimenté par d'innombrables ruisseaux.
“On accuse l'énergie solaire ou éolienne de ne pas être fiable, mais regardez le pétrole, les stocks s'effondrent.”
Cette crise constitue aussi un enjeu majeur de justice climatique – et de dette climatique –, que vous placez au cœur de Tout peut changer...
Effectivement, et chaque négociation des Nations unies sur le climat se brise sur cette question fondamentale : notre réponse collective au changement climatique s'appuira-t-elle sur des principes de justice et d'équité ? Plus de cent soixante pays ont signé en 1992 la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dans laquelle ils reconnaissent « leurs responsabilités communes mais différenciées ». Ce qui veut dire que les pays qui ont émis le plus de CO2 au cours du siècle passé doivent être les premiers à réduire leurs émissions et aider financièrement les pays pauvres à se développer de façon « écoresponsable ».
Même si Bill Clinton et Al Gore ont négocié le protocole de Kyoto, ils ne l'ont jamais signé. A leur retour aux Etats-Unis, le Congrès l'a rejeté en disant : pourquoi signer, alors que la Chine refuse de le faire ? Il a rejeté ce principe selon lequel les pays en développement ont le droit de rattraper le monde occidental, de se développer et que les pays les plus responsables du changement climatique devraient prendre la tête du mouvement de lutte contre le réchauffement.
Ce qui nous ramène au débat fondamental de l'histoire des inégalités : c'est la civilisation du carbone qui est à l'origine d'un monde profondément inégalitaire ; c'est l'Europe qui, en commençant à brûler massivement du charbon, a ouvert le fossé des inégalités d'une manière inédite dans l'histoire. Voilà précisément l'une des raisons pour lesquelles la lutte contre le changement climatique apparaît si menaçante pour la droite, particulièrement la droite américaine, qui la considère comme un « complot » pour redistribuer la richesse. Mais cela n'a rien d'un complot ! Nous resterons coincés tant que nous ne permettrons pas au monde en développement de lutter contre la pauvreté, sans brûler plus d'énergies fossiles. Cela implique des transferts de technologies bien supérieurs à ceux réalisés jusqu'à aujourd'hui.
Il s'agit du fondement de l'idée de « dette climatique ». Je l'ai entendue pour la première fois en 2009 dans la bouche d'Angelica Navarro Llanos, la négociatrice bolivienne en matière de climat, qui m'avait expliqué comment le changement climatique pourrait constituer un catalyseur pour résoudre les inégalités entre le Nord et le Sud, en jetant les bases d'un « plan Marshall pour la planète ».

“La gauche a du mal à accepter que l'obsession de la croissance mène  dans le mur.”

Vous dites que la droite se sent particulièrement menacée par la lutte contre le changement climatique. La gauche, qui reste aussi arrimée à une histoire productiviste, serait plus prête à ces remises en question ?

Elle ne l'a pas fait jusqu'ici. Elle n'a jamais remis en cause la logique extractiviste — ou productiviste, ou développementaliste, selon le terme que l'on choisit —, la déclaration de guerre contre la nature qui constitue le cœur de notre système économique et qui est partagée à la fois par le communisme et le capitalisme.

C'est un défi profond pour la droite, car le changement climatique exige de la régulation, des investissements publics, de l'action collective et d'imaginer un autre horizon intellectuel que celui de la croissance infinie. Même chose pour la gauche, qui même si elle a plus d'appétit pour l'intervention publique, a du mal à accepter que l'obsession de la croissance nous mène droit dans le mur. Notre objectif commun est de vivre bien, avec moins, ce qui est plus facile à comprendre pour la gauche. Une partie de la gauche a d'ailleurs déjà effectué ce chemin, même si les partis seront les derniers à le faire.

Cette prise de conscience est bien plus développée en Amérique Latine, en Bolivie ou en Equateur par exemple. Deux pays qui ont des gouvernements de gauche à leur tête, qui ont intégré dans leurs discours les droits de la nature, la critique de la croissance, tout en restant dépendants de la logique extractiviste. Cette tension donne lieu à des débats intellectuels vraiment intéressants. En fait, si je me concentre sur la critique du capitalisme, c'est parce qu'il s'agit du modèle dans lequel nous vivons. Nos économies sont capitalistes, même en Bolivie. Et le réchauffement climatique nous remet en cause de la manière la plus profonde, en nous obligeant à renoncer à cette envoûtante utopie d'une maîtrise totale de la nature dans laquelle les énergies fossiles ont joué un rôle capital. Comme l'écrit l'écologiste Andreas Malm, le premier moteur à vapeur commercial « était apprécié pour n'être soumis à aucune force qui lui fût propre, à aucune contrainte géographique, à aucune loi extérieure, à aucune volonté résiduelle autre que celle de ses propriétaires ; il était absolument – ou plutôt ontologiquement – asservi à ceux qui le possédaient. »

On continue à parler des énergies solaire et éolienne comme n'étant pas fiables, mais regardez le pétrole, les stocks sont en train de s'effondrer. S'il y a bien une technologie qui n'est pas fiable, c'est celle-ci, qui nous emmène tous à la catastrophe... Les énergies solaire et éolienne nous obligent à changer de position, à engager un dialogue avec la nature, puisque pour que ces modèles fonctionnent, vous devez tenir compte de l'ensoleillement, du vent... Elles nous disent que tous les endroits en se valent pas, ce qui est précisément l'inverse de ce qu'on nous a répété pendant toute l'ère de la mondialisation : la géographie ne compte pas, les nationalités ne comptent pas... Ces technologies nous obligent à prêter attention aux endroits où nous vivons, ce qui représente un vrai changement de paradigme pour la gauche comme pour la droite. Mais je suis convaincue que les nouvelles générations d'intellectuels vont s'en emparer. Même si c'est lent, parce que le changement est tellement profond.

De tous vos livres, Tout peut changer est le plus optimiste. La naissance de votre fils, auquel vous l'avez dédié, y est-elle pour quelque chose?

J'ai commencé ce livre avant sa naissance et l'ai conçu dès le départ comme un projet optimiste quant à nos possibilités de changement. J'ai toujours eu du mal avec le cliché selon lequel nous nous battons pour nos enfants. La maternité peut certes devenir une force créatrice, mais certaines des personnes qui me servent de modèles de créativité et d'empathie n'ont pas d'enfants — par choix ou pas — et je les respecte. Non, vraiment, je ne joue pas la carte de la maternité, mais je suis nettement plus fatiguée qu'avant [rires] ! En revanche, mon travail a beaucoup été influencé par ma difficulté à être enceinte, les fausses couches, les expériences pharmaceutiques et technologiques ratées... Ce que j'ai appris sur la crise écologique a façonné mes réactions face à ma propre crise de fertilité et vice versa. J'ai pris conscience que la Terre est effectivement notre mère à tous, et qu'elle traverse une crise de fertilité. J'ai aussi compris que ces ingénieux mécanismes de procréation et de régénération de la Terre et de ses habitants pourraient contribuer à un nouveau modèle, qui ne reposerait plus sur la domination et le pillage des écosystèmes. Alors pourquoi ne pas être optimiste ?

(1) Une pièce de Christophe Honoré, Violentes Femmes, mise en scène par Robert Cantarella, s'inspire de l'événement et tourne actuellement en France (du 18 au 20 mars, au CDN d'Orléans).


  • 1970 Naissance à Montréal.
  • 2000 Publie No logo, essai sur la mondialisation.
  • 2004 Coréalise avec son mari Avi Lewis The Take, documentaire sur une coopérative ouvrière argentine.
  • 2007 Publie La Stratégie du choc : la montée d'un capitalisme du désastre.
  • 2015 Prépare un film à partir de son dernier essai.

mardi 17 mars 2015

DES RESTES DE MIGUE L DE CERVANTÈS RETROUVÉS EN ESPAGNE

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PORTRAIT PRÉSUMÉ DE MIGUEL CERVANTÈS, 1603 - 1607, PAR DOMÍNIKOS THEOTOKÓPOULOS DIT « EL GRECO »  ( LE GREC )  DANS LE MUSÉE NATIONAL DU PRADO DE MADRID, ESPAGNE
Les chercheurs sont parvenus à cette conclusion en analysant un faisceau d'indices d'ordre documentaire sur l'auteur de Don Quichotte, indices comparés à leurs recherches anthropologiques et archéologiques, bien que les restes n'aient pas été analysés encore à ce stade de manière « génétique ». « Il n'y a pas d'identification confirmée par la voie génétique » à ce stade, a déclaré de son côté l'archéologue Almudena Garcia-Rubio . « Nous sommes convaincus que nous avons entre ces fragments quelque chose de Cervantès », a aussi déclaré le docteur Etxeberria.

Lieu de sépulture perdu



À la recherche des restes de Cervantès

Quand l'écrivain espagnol Miguel de Cervant s est décédé, il y a quatre si cles, il n'était pas cél bre. L'auteur de Don Quichotte a été enterré dans cette église de Madrid, mais personne ne sait vraiment o . Plus pour longtemps. Des scientifiques s'appr tent scanner les lieux l'aide d'un géo-radar. Quinze personnes seraient enterrées dans ces lieux, et pour identifier la bonne sépulture, l'anthropologue légiste Francisco Etxeberria dispose de quelques indices : 'Cervant s se définissait lui-m me comme ayant un nez busqué, le dos vo té, cause de l'arthrose. Mais il disait aussi qu'il n'avait presque plus de dents, seulement six. Il faut également ajouter ce que tout le monde savait de Cervant s : sa main gauche était atrophiée'. Les scientifiques estiment que plusieurs mois et environ 100 000 euros seront nécessaires. Et si les restes sont retrouvés, une plaque la mémoire de l'illustre écrivain sera posée dans l'église.

Né en 1547, dans la vieille ville universitaire d'Alcala de Henares, près de Madrid, Miguel de Cervantes est considéré par beaucoup comme le « père du roman moderne » pour son œuvre Don Quichotte, publiée en deux parties, en 1605 et 1615. Il est mort dans la pauvreté le 22 avril 1616, et a été enterré selon les écrits de l'époque, dans la crypte d'une église du centre historique de Madrid. Mais on ignorait le lieu exact de sa sépulture, perdu au fil de l'histoire et des travaux d'agrandissement de cette église et du couvent attenant, aux façades de brique rouge.

L'équipe menée par Francisco Etxeberria avait concentré ses recherches dans une église du couvent de Saint Ildéfonse des mères trinitaires, dans un quartier du centre de la capitale espagnole, aujourd'hui rebaptisé « Barrio de las Letras », ou « Quartier des lettres », en hommage à ses célèbres habitants : Cervantès, mais aussi Lope de Vega, et les grands rivaux littéraires du Siècle d'or, Francisco de Quevedo et Luis de Gongora.

Dans ses recherches, l'équipe disposait d'indices précis pour identifier le grand homme du Siècle d'or. « Nous recherchons un squelette d'homme, d'environ 70 ans, qui avait six dents, ou moins, portant des [traces de] lésions à l'intérieur du bras et à la main gauche, ne relevant pas de l'amputation, mais interdisant l'usage normal du bras », expliquait Francisco Etxeberria, en janvier.

C'est lors de la légendaire bataille navale de Lépante (au large de la Grèce), remportée en 1571 par la Sainte-Ligue, menée par l'Espagne, contre les Ottomans, que Cervantès reçut deux coups d'arquebuse, l'un au torse et l'autre qui lui paralysa la main gauche. Une blessure caractéristique qui lui valut le surnom de « Manchot de Lépante ». En se fondant sur ce passé militaire les chercheurs traquent aussi des « petits fragments de métal incrustés » dans les os, autres preuves matérielles qui pourraient servir à identifier l'illustre écrivain, a ajouté Etxeberria.

dimanche 15 mars 2015

ONAS « HEHE »

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« HEHE », CHANSON INTERPRÉTÉ PAR LOLA KIEPJA, QUI FUT LA DERNIÈRE CHAMAN SELK'NAM. ENREGISTRÉ PAR ANNE CHAPMAN. PARU DANS LE  DISQUE VINYLE LONG PLAY, « DE SELK´NAM CHANTS OF TIERRA DEL FUEGO. FOLKWAYS RECORDS, ALBUM N° FE 4176 (VOL. II, PISTA 14). 1972.
DURÉE : 00:04:22 

    CHOC AU CHILI : L’HISTOIRE CACHÉE DU GÉNOCIDE ET DU « ROI DE PATAGONIE »

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    LES SELKNAMS, AUSSI APPELÉS SELK'NAMS, SHELKNAMS OU ONA
    certes, les anthropologues étudient et parlent (heureusement) de ces peuples qui habitaient la Terre de Feu, les canaux et les grandes plaines, les Kawesqar, Yamans, Aoniken et Selknam, et dont il ne reste pratiquement plus de descendants aujourd’hui.

    La mémoire collective s’est attachée à leur nudité, à leur corps peint, à leur visage. Mais elle a effacé la manière dont ils ont été exterminés, comme elle a effacé les noms des responsables de ce génocide. Génocide qui a eu lieu, rappelons-le, il y a à peine 100 ans, au vu et au su des gouvernements en place à l’époque. Une extermination qui a profité à une poignée de familles d’origine européenne qui se sont appropriées des millions d’hectares en ignorant la loi et en achetant tout le monde, même ceux qui les écrivaient, les lois...

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    JOSÉ MENÉNDEZ MENÉNDEZ, 1884
    Pour que les tabous historiques soient tus, il y a l’histoire officielle. Mais lorsque l’histoire est purulente, la mémoire collective finit par la rejeter.

    Il suffit parfois d’un caillou qui enraye la machine bien huilée. Même un siècle après. Ce qui est intéressant, dans l’histoire présente, c’est que le caillou en question est venu d’ailleurs.

    Remise en cause de l’histoire officielle

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    JOSÉ LUIS ALONSO MARCHANTE,
    À PUNTA ARENAS, MAGALLANES, CHILI
     
    José Luis Alonso Marchante est historien et espagnol. Ni Chilien ni Argentin, donc. Il vient de Gijón, dans la région des Asturies, l’une des plus pauvres de l’Espagne à la fin du XIXe siècle. Cette pauvreté a poussé 350 000 personnes à l’époque à s’entasser dans les troisièmes classes de bateaux de fortune, pour tenter leur chance ailleurs, en Amérique surtout.

    Ce voyage, des Asturies vers l’Amérique du Sud, José Luis Alonso Marchante va l’entreprendre à son tour en 2007, non en aventurier prêt à tout, mais en tant qu’historien. Six années plus tard, au bout d’une minutieuse enquête qui l’a amené à fouiller les archives nationales au Chili et en Argentine, il publie un livre d’historien, « Menéndez, rey de la Patagonia» ( « Menéndez, roi de Patagonie »).

    Ses révélations créent une vive émotion au Chili comme en Argentine, car son livre, qui fait désormais partie de ceux que les collégiens seront amenés à lire, a permis de remettre en cause l’histoire officielle. Entretien.

    Rue89 : Le fil conducteur de votre livre est José Menéndez. Racontez-nous comment vous avez fait sa « rencontre »...


    José Luis Alonso Marchante : La première fois que je me suis rendu en Argentine, en 2007, je suis allé au Centre asturien de Buenos Aires où je suis tombé sur le buste de José Menéndez. C’était étonnant : 350 000 Asturiens ont émigré vers l’Amérique du Sud au XIXe siècle, et tout ce qui restait d’eux, hormis quelques noms disséminés à travers le continent, c’était ce personnage venu des Asturies comme moi, et surnommé « le roi de Patagonie » ! Ça a piqué ma curiosité : comment un homme issu d’une famille de paysans très pauvres était-il devenu l’homme le plus puissant de la Patagonie au début du XXe siècle ?

    J’ai rencontré l’historien argentin Osvaldo Bayer, auteur de « La Patagonia rebelde » [PDF], un livre très important pour qui s’intéresse à cette région, sur le massacre de 1 500 ouvriers en 1920 à Santa Cruz par l’armée. Or, celui qui avait fait appel à l’armée pour mater la rébellion des ouvriers de son exploitation ovine, n’était autre qu’un descendant de José Menéndez. Ensuite, ce fut comme si je tenais le début d’un fil pour entrer dans l’histoire incroyable de la colonisation de la Patagonie à la fin du XIXe siècle. Une enquête qui s’est étalée sur plus de six ans… car je l’ai menée tout seul, pendant mes vacances.

    Combien de voyages avez-vous entrepris en Amérique du Sud ?

    Quatre au total. En 2007, je suis allé à Buenos Aires en Argentine ; en 2009, en Terre de Feu (côté chilien de la Patagonie) ; en 2011, dans la province de Magallanes (côté chilien) et à Santa Cruz (en Argentine) et enfin, en 2012, à Santiago. Chaque fois, j’ai longuement travaillé sur les archives.

    Comment expliquez-vous qu’un personnage ait pu contourner les lois, jusqu’à devenir le propriétaire de millions d’hectares de la Patagonie chilienne et argentine ?

    A la fin du XIXe siècle, le Chili et l’Argentine, qui n’avaient jamais montré d’intérêt pour les terres extrêmes du Sud, proposent à des Européens de coloniser ces terres. L’idée étant qu’un grand nombre de colons peuplent les terres australes.

    Mais les deux gouvernements sont vite dépassés par la prise de pouvoir d’une poignée d’hommes, venus d’Espagne, de Lettonie, d’Angleterre, du Portugal, d’Allemagne et de France, des hommes sans foi ni loi, qui vont tout simplement se partager ces terres : les Espagnols José Menéndez et José Montes, le Letton Mauricio Braun, le Portugais José Nogueira, l’Irlandais Thomas Fenton, les Anglais William Waldron et Stanley Wood, le Français Gaston Blanchard… Ce sont eux qui, par cupidité et par avarice, vont empêcher le peuplement de la Patagonie.

    Mais les lois de l’époque limitaient la possession d’une personne à 30 000 hectares…

    Menéndez et Braun (qui ont uni leurs familles par un mariage) ont, grâce à des hommes de paille ou des sociétés prête-noms, réussi à posséder des millions d’hectares. Les autorités nationales se disaient scandalisées, mais lorsqu’elles « descendaient jusqu’à Punta Arenas », à l’extrême sud du pays, elles changeaient d’opinion au bout de quelques jours. L’argent… C’est impressionnant de voir comment cela se produit en analysant leurs rapports et lettres.
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    ECHANGE AVEC LES AUTORITÉS (DR)
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    ECHANGE ÉPISTOLAIRE (DR)

    Menéndez va même plus loin puisque, lorsqu’une loi ne lui plaît pas, il « monte à Santiago » (et plus tard à Buenos Aires), où il s’entretient directement avec les plus hautes autorités, pour parvenir à ses fins. J’ai trouvé des lettres qui montrent comment il s’y prend !

    De fait, cinq familles, toutes liées par des intérêts économiques ou familiaux communs, possédaient absolument toutes les terres de la Patagonie chilienne.

    Comment cette colonisation s’est-elle transformée en massacre des peuples autochtones ?

    L’histoire des Selknam en Terre de Feu est assez édifiante. Ils n’avaient pas beaucoup de contacts avec les colons depuis le passage de Magallanes en 1520 (qui avait appelé Terre de Feu ce territoire en raison des feux qu’il voyait apparaître un peu partout, lorsque les Selknam voulaient avertir d’un danger). Pendant les 400 années qui ont suivi, leur contact avec les Européens a été très limité.

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    Massacre de populations autochtones en Patagonie (DR)
    C’est lorsque Menéndez met un pied en Terre de Feu, et installe sa société d’exploitation, que commence leur anéantissement physique et culturel. La preuve : le principal chasseur de Selknam, l’Ecossais Alexander McLennan, qui se laissait photographier aux côtés des cadavres des indigènes, était le contremaître de José Menéndez. Le responsable, pendant douze années, des exploitations de Menéndez en Terre de Feu. Son homme de confiance, en somme, à qui il offrit une montre en or où il fit inscrire ces mots : « A mon fidèle collaborateur »…

    McLennan disait à qui voulait l’entendre qu’il fallait « exterminer ces Selknam », parce qu’ils étaient « trop rebelles pour être civilisés ». Il s’agit d’un vrai génocide, jamais reconnu comme tel.


    Menéndez et McLennan, au commissariat de Rio Grande, Terre de Feu (DR)
    Pourtant, un siècle plus tard, le Chili reconnaît que l’une de ses principales caractéristiques est sa diversité ethnique. Et les jeunes Chiliens sont de plus en plus nombreux à entendre la tragique histoire du peuple mapuche… et des métisses comme le joueur de foot chilien Jean Beausejour Coliqueo, fils d’un Haïtien et d’une Mapuche, qui parlent avec fierté de leur « indianité », contribuent à cette évolution.

    En 1920-21, lorsque la fusillade de 1500 ouvriers a lieu à Santa Cruz en Argentine, Menéndez est déjà mort depuis deux ans (mort à Buenos Aires, mais est enterré à Punta Arenas)…

    Oui, et c’est le système qu’il a mis en place, les ouvriers journaliers qui travaillaient dans des conditions inhumaines, qui provoque une grève… Celle-ci sera réprimée par l’armée argentine. Mille cinq cents ouvriers seront fusillés, la plupart travaillant pour les Menéndez. C’est sa famille ainsi que les autres propriétaires terriens de Santa Cruz qui font appel à l’armée pour cette opération. Et c’est cette même famille qui facture l’Etat argentin, pour avoir logé et alimenté les soldats. C’est que chez ces gens-là, il n’y a jamais de petits profits…

    En tout cas, cette répression a tellement marqué les esprits que les ouvriers attendront 30 ans pour demander la signature d’une convention de travail avec leurs « estancieros » (exploitants d’« estancias », d’énormes surfaces pour la production de moutons). Pendant 30 ans, aucun ouvrier n’a osé regarder ses chefs dans les yeux…

    Qu’est-ce qui vous fascine et/ou vous repousse dans ce personnage de José Menéndez ?

    Au cours de mon enquête, plusieurs personnes m’ont proposé de financer une biographie de Menéndez si elle montrait le personnage sous un jour favorable… Mais en fait, José Menéndez n’est qu’un fil conducteur dans mon livre. Le personnage en soi n’est pas intéressant. C’est juste un homme habité par une cupidité sans bornes qui termine mal car la vie le rattrape : ses propres enfants lui ont demandé de partager ce qu’il possédait, alors qu’il était encore en pleine possession de ses moyens et, une fois obtenu ce qu’ils désiraient, ils l’ont tout simplement écarté des affaires. C’est le pire qui puisse arriver à un père : être volé et rabaissé par ses propres enfants !

    Pourquoi le rejet de l’histoire officielle intervient-il aujourd’hui ?

    L’histoire officielle chilienne a été construite artificiellement par ces grosses familles avec la complicité non seulement d’historiens mais aussi de l’église salésienne. Même si ces grandes familles et les salésiens se sont souvent opposés : l’église, qui possédait des milliers de moutons, les faisait garder par les populations autochtones vivant dans leur mission, et voyait d’un très mauvais œil le fait que Menéndez pousse à massacrer ces indigènes, sous prétexte qu’ils volaient des moutons…


    FAMILLE YAMANE À BORD DE LA ROMANCHE, MISSION SCIENTIFIQUE FRANÇAISE CAP HORN, 1882 

    Pourtant, cet affrontement a soudain pris fin, en 1912, lorsque Giuseppe Fagnano, père supérieur des salésiens à Punta Arenas, vend la plus grande partie des terres de la mission salésienne… à José Menéndez ! Et à partir de ce moment, comme par hasard, les historiens salésiens ne cesseront d’encenser les pionniers comme Menéndez… même si dans leurs lettres (que j’ai lues), ils avouent ne pas pouvoir parler des barbaries commises par ces grandes familles pour devenir encore plus riches, et dont ils sont témoins.


    CORRESPONDANCE DU SALÉSIEN ENTRAIGAS, SEPTEMBRE 1963 (DR)



    Celui-ci reconnaît qu’il y a eu des massacres de populations indigènes : « Je n’oublie pas la vraie vérité : qu’il y a eu des massacres d’Indiens [...] mais il ne faut pas que nous, les salésiens, soyons ceux qui allument la mèche du scandale.
    Nous ne devons pas imiter ces mauvais exemples. Il existe des sujets plus propres pour faire de la littérature, et toujours dans le respect que mérite la vérité historique. »

    Ceci montre comment s’est construite une image idyllique de la période de colonisation de la province de Magallanes à la fin du XIXe siècle. Et si cette histoire est restée telle quelle, c’est parce qu’il y a eu, à la tête du Chili, des gouvernements qui l’ont maintenue ainsi. Mais les gens n’y croient plus. Les temps changent.

    Comment expliquer le fait qu’un livre aussi ouvertement critique soit écrit par un étranger et non par un Chilien ?

    J’ai rencontré d’excellents historiens et journalistes chiliens et argentins, que je cite dans le livre et je crois que seuls les gens qui font partie d’un pays peuvent apporter des changements dans ce pays.

    Mais je me souviens que les premiers travaux sur la guerre civile en Espagne, ont été réalisés par les hispanistes britanniques : leur vision n’était pas influencée par la société espagnole, ils racontaient juste le déroulement des faits… et je crois que c’est un peu ce qui m’est arrivé.

    Lorsque je suis arrivé la première fois au Chili, je connaissais l’histoire mais je n’y étais jamais allé. Et voilà que je me trouve avec l’histoire populaire, celle des gens qui disent : « C’est une honte, nos rues, nos places, portent des noms de personnes qui symbolisent les massacres et la dictature. Il est temps que nous changions ces noms-là ! »

    C’est parce que le Chili bouge, qu’il remet en cause « l’officialité » en général, qu’un livre comme le mien devient intéressant. S’il avait été publié il y a dix ans, il serait sans doute arrivé trop tôt et serait tombé dans les oubliettes…

    Quelles ont été les réactions qui vous ont frappé de la part de vos lecteurs ?

    Le livre en est à sa troisième édition au Chili et il est dans toutes les librairies du pays. Il est sorti en Argentine en décembre 2014 et là aussi, c’est un succès. Mais ce qui me touche, surtout, c’est qu’un ex-étudiant et aujourd’hui député de la région de Magallanes, Gabriel Boric, ait proposé que la rue José Menéndez de Punta Arenas, change de nom et s’appelle dorénavant Francisco Coloane, du nom du fantastique écrivain chilien qui a raconté les massacres de phoques et les conditions de vie en Patagonie, mieux que personne.

    Preuve que l’histoire populaire aura non seulement crevé l’abcès du tabou de l’histoire officielle, mais qu’elle l’aura vaincu.