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samedi 4 juillet 2015

LA MÉMOIRE DU CHILI ENFOUIE DANS SON STADE

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 CAPTURE D'ÉCRAN TÉLÉVISION MEXICAINE
Lors du match d’ouverture de la Copa América entre le Chili et l’Equateur, le 11 juin, les 48 000 spectateurs de l’Estadio nacional, à Santiago, ont entonné en chœur l’hymne chilien. L’une des tribunes était recouverte d’un immense drapeau sur lequel on pouvait lire : « Un peuple sans mémoire est un peuple sans futur. » Cette partie du stade est aujourd’hui un mémorial. Théâtre de la plus vieille compétition de football (la Copa America fêtera ses 100 ans en 2016) qui accueillera la finale, samedi 4 juillet, l’Estadio nacional fut aussi l’un des plus grands centres de détention et de torture instauré sous la dictature Pinochet.

« Ici, les gens ont perdu leur dignité », témoigne José Manuel Méndez, ancien détenu, en fixant les
 PHOTO MARCELO MONTECINO
 bancs en bois qui n’ont pas changé. Comme lui, des centaines de personnes ont été enfermées dans les tunnels du stade, dormant à même le sol. Des «prisonniers de guerre », massés comme du bétail. Figure principale de la Corporation pour la mémoire nationale des ex-prisonniers politiques, M. Mendez se souvient : « Une camaraderie se créait. On survivait comme on pouvait. On écrivait sur les murs avec ce que l’on avait : bouts de verre, clous, clés. On devait laisser une preuve de notre passage. »


Sous la pression de la FIFA

Plus de quarante ans après le coup d’Etat, le gouvernement chilien n’a jamais publié de liste officielle de prisonniers. « L’armée affirmait qu’il y avait 3 000 internés. Mais je vous assure que j’ai vu le stade totalement rempli de prisonniers », affirme José Manuel Mendez. Protégée constamment par des militaires, l’enceinte n’était accessible à aucun civil. « C’était une forteresse isolée », explique Mendez. Le stade a été vidé une seule fois. Sous la pression de la Fédération internationale de football (FIFA), le général Pinochet accepte de déplacer les prisonniers le temps d’un match de qualification à la Coupe du monde 1974.
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FRANCISCO « CHAMACO » VALDÉS MUÑOZ, LE BUTEUR DU « MATCH ».
Le 21 novembre 1973, le Chili doit affronter l’URSS. Mais son adversaire refuse de jouer dans un stade « taché de sang ». Le match le plus absurde de l’histoire du foot se déroule alors sous les yeux de 15 000 spectateurs ébahis. Et pour cause, il n’y a qu’une équipe sur le terrain, la FIFA ayant ordonné à l’équipe chilienne de disputer malgré tout la « rencontre ». Une fois cet épisode grotesque terminé, les détenus seront une nouvelle fois transférés dans le stade, qui servira de prison jusqu’en 1974.

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CHILI,  FEMMES PRISONNIÈRES AU STADE NATIONALE SEPTEMBRE 1973
 PHOTO MARCELO MONTECINO

Le silence de l’Etat

Durant cette période, seule la presse internationale est autorisé à entrer. « Chaque fois que des photographes pénétraient dans l’enceinte, les militaires cachaient les prisonniers », se souvient Méndez. C’est devant la porte 8 du stade que les familles des prisonniers tentaient, très souvent en vain, d’avoir des nouvelles de leurs proches. « D’ici, on pouvait voir la vie à l’extérieur du stade. Les familles venaient ici, se collaient aux grillages et essayaient de nous voir. Souvent on leur faisait signe, croyant apercevoir un proche », ajoute l’ancien détenu, aujourd’hui âgé de 67 ans.

Vingt-cinq ans après la fin de la dictature, l’Etat chilien se veut toujours discret sur cet épisode sombre. La Commission nationale pour la vérité et la réconciliation affirme que 46 personnes ont été exécutées dans le stade. Les témoins de l’horreur de l’Estadio nacional avancent, eux, que 250 personnes sont mortes après avoir été torturées. Quant au gouvernement de Michelle Bachelet, il n’octroie aucune aide à l’association qui se bat pour la mémoire des victimes. Désormais, ce sont les stars de la sélection Alexis Sanchez et Arturo Vidal qui ont la lourde tâche de récrire l’histoire de l’Estadio nacional et du Chili.