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samedi 3 janvier 2015

AU CHILI, LE DÉSERT DE L'ATACAMA VERSION CHIC

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PHOTO LAURENT FABRE 
Est-ce l'altitude, l'extrême pureté de l'air ou l'immensité silencieuse qui nous entoure? On se sent tout petit lorsque, une fois à terre, on file dans le désert rouge et monotone. Le paysage soudain se boursoufle avant de plonger sur San Pedro de Atacama. Quelques arbres, un peu de verdure et des maisons en adobe couvertes d'une toiture en paille: à près de 2 500 mètres d'altitude, San Pedro surgit telle une oasis, dominé par les volcans de la cordillère des Andes. Le volcan le plus proche du village, le majestueux Licancabur, montagne sacrée des Indiens atacameños, tutoie les 6 000 mètres de son cône évocateur. Oasis, étendues de sel, formations rocheuses, geysers: quel contraste entre la première impression monocorde donnée par le désert et l'incroyable diversité des paysages qui se concentrent autour de San Pedro.

Ce n'est pas un hasard si San Pedro est devenu le pôle d'attraction touristique numéro un du nord du Chili. Hôtels, restaurants, agences d'excursions se sont multipliés ces dernières années dans ses ruelles en terre battue. Devenu cosmopolite, le village n'a toutefois rien perdu de son charme. Autour de sa rue principale, s'égrènent ses maisons couleur terracotta, son agréable place ombragée et son église blanchie à la chaux, l'une des premières du Chili, construite en bois de cactus et de caroubier. Cachés dans l'oasis ou ses environs, trois lodges haut de gamme invitent à découvrir le désert dans des conditions exceptionnelles. Tout en se fondant dans l'environnement, ces trois hôtels cultivent leur singularité: design pour le Tierra Atacama, nature pour l'Alto Atacama, ou alors vraiment cosy avec un service sur mesure remarquable pour l'Awasi. Trois styles différents pour embrasser ce désert sublime.
A l'aube, le contraste de température avec l'air glacé est tel que les geysers d'El Tatio envoient de splendides panaches.

A 3 kilomètres du village, l'Alto Atacama se love au creux d'une vallée baignée par le río San Pedro et gardée par une forteresse précolombienne. Entouré de falaises orange sculptées par l'eau et le vent, l'Alto Atacama a des allures de ranch chic. Dans leur corral, lamas et alpagas accueillent, l'œil hautain mais néanmoins curieux, les voyageurs. On aimerait caresser leur laine épaisse mais, immanquablement, on hésite en pensant au sort du capitaine Haddock dans Le Temple du Soleil! D'un grand confort, l'hôtel arbore une élégante sobriété avec ses matières brutes, ses poteries et ses tissages indiens. Un bar, un jacuzzi et six piscines turquoise égaient le lounge extérieur. Ils tendent leurs chaises longues à ceux qui, de retour d'excursion, voudraient s'y prélasser. A moins de profiter, juste à côté, du grand spa minéral pour un massage indien ou un gommage aux sels du salar…

Les arguments sont nombreux pour ne pas quitter l'Alto Atacama. Même à la nuit tombée. Car l'hôtel est le seul à avoir aménagé un espace pour observer les étoiles, quand il faut d'habitude se rendre dans l'un des observatoires privés autour de San Pedro. L'extrême pureté du ciel, l'altitude, l'absence de pollution lumineuse: les scientifiques le savent bien, l'Atacama est le meilleur endroit au monde pour observer les étoiles. Le désert abrite quelques-uns des plus grands observatoires internationaux. Le dernier en date, le fameux Alma inauguré l'an dernier, aligne 66 antennes radiotélescopiques sur le plateau de Chajnantor, à 5 000 mètres d'altitude. Leur accès étant réservé aux astronomes patentés, on profite d'un lit pivotant à 360 degrés au sommet d'une butte pour observer les étoiles avec les guides de l'Alto Atacama. Croix du Sud, couronne australe ou nébuleuse d'Orion: la carte du ciel s'éclaire à la pointe de leur laser ou de leur télescope.

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DANS CE PAYSAGE ASCÉTIQUE DE L'ALTIPLANO, LA VIGOGNE EST DANS SON ÉLÉMENT. 
SA LAINE, TRÈS CONTRÔLÉE, EST PLUS DOUCE QUE LE CACHEMIRE. PHOTO LAURENT FABRE
Changement d'ambiance et de style au Tierra Atacama. Cet hôtel au design contemporain audacieux se cache dans l'oasis derrière un mur en adobe. Les bâtiments arborent des volumes originaux, grands ouverts sur le paysage, qui prend ici des airs de savane sous le souverain Licancabur. Le jeu sur les matières - béton ou bois au sol, pierre ou métal au mur -, les grandes hauteurs sous plafond où sont suspendus de magnifiques luminaires, les longues tables en bois peint ou les canapés disposés en arc de cercle face à la cheminée font que l'on s'y sent bien. A l'extérieur, des pontons en bois mènent au spa, à la piscine et aux espaces zen du jardin: des chaises cocon qui se suspendent dans les arbres, le jacuzzi ou encore, tout au bout du chemin en caillebotis, une terrasse ombragée par un tissu, véritable invitation à méditer dans le silence du désert. A l'intérieur, une carte tendue au mur comme un immense tableau invite à explorer la région. Autour d'une boisson et de petits gâteaux, un guide établit avec nous le programme de nos aventures. Comme à l'Alto Atacama, chaque jour les minivans de l'hôtel emmènent les hôtes découvrir les merveilles du désert qui s'étagent entre 2500 et 6000 mètres d'altitude. La progression s'impose si l'on ne veut pas subir le mal des montagnes, traditionnellement soigné ici avec quelques feuilles terriblement amères de coca.

Le premier jour, il est conseillé de visiter le village et son oasis. Le musée archéologique consacré aux Indiens atacameños se révèle passionnant. Un prêtre belge, le père Gustave Le Paige, qui a vécu à San Pedro de 1955 à 1980, a fait surgir de l'oubli cette civilisation du désert. Il a rassemblé plus de 380.000 objets racontant l'histoire fascinante de ce peuple arrivé là il y a plus 10.000  ans et qui a su tirer profit des rares ressources du désert. Canaux d'irrigation, champs en terrasse comme chez les Incas, lamas… La situation de l'oasis au carrefour de la route des Andes ainsi que les riches ressources que renferme le sous-sol de la région - notamment le cuivre et le salpêtre - ont fait que l'Atacama a toujours été convoité. C'est ainsi que les Atacameños furent sous influence des Indiens tiwanaku qui rayonnaient sur les Andes au tournant du premier millénaire. Puis que les Incas firent de l'Atacama la pointe sud de leur empire, soixante-dix ans avant l'arrivée des Espagnols au XVIe siècle.


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LA CHARMANTE PETITE ÉGLISE DE MACHUCA VEILLE SUR LA DOUZAINE DE MAISONS 
QUE COMPTE CE HAMEAU PERDU AU MILIEU DU DÉSERT, À PRÈS DE 4 000 D'ALTITUDE. 
PHOTO LAURENT FABRE 


Au sud de l'oasis se déroule le salar d'Atacama, l'une des plus grandes étendues de sel du monde. Une sensation de vertige nous étreint quand on y pénètre. Tout semble si grand, si infini. Comme la puissance des montagnes qui ourlent l'horizon, dont on ne sait, à cause de la pureté de l'air, si elles sont proches ou lointaines. Ce sont elles qui alimentent en eau et en sels le salar. Par des chemins souterrains, l'eau ruisselle de la cordillère, charriant les sels volcaniques dans les profondeurs du lac asséché: le salar abrite ainsi l'un des principaux gisements de lithium de la planète. Ici et là, l'eau affleure, tendant un miroir aux montagnes et au ciel. Seules des colonies de flamants roses troublent leur reflet bleu et argent. Arpentant le lac, ils se nourrissent d'artémies, ces minuscules crustacés qui leur donnent leur couleur chatoyante. Parmi les lacs du salar de San Pedro, comment ne pas être hypnotisé par la lagune de Cejar, véritable œil du désert. La pupille? Un puits bleu cobalt, intense et profond. L'iris? La surface vibrante de l'eau, turquoise à proximité du gouffre, nuancée d'or comme le sable à sa périphérie. La paupière? La plage couverte de cristaux blancs.

Difficile de résister à la tentation de plonger dans ce camaïeu de couleurs absolues. Et nous voilà flottant, la tête et les épaules sortant de cette eau saturée en sels. Au nord-ouest, la fantasmagorique cordillère de sel borde l'oasis. Un sentiment d'éternité nous étreint en marchant dans le paysage sélénite et sans vie de la vallée de la Lune. Un univers fait de vagues minérales rouges, de canyons abrupts et sinueux, de dunes de sable blond et de cristaux de sel blanc. On comprend pourquoi la Nasa teste ses robots dans ce désert avant de les envoyer explorer Mars à la recherche de traces de vie.

Pour s'acclimater au-dessus des 3 000 mètres, un trek facile dans la vallée de cactus de Guatin est proposé. Tels des sémaphores, des cactus géants surgissent sur les contreforts rocheux du Licancabur, indiquant l'entrée d'une vallée sortie d'un western. A tout moment, l'on s'attend à voir apparaître des Indiens derrière ces candélabres aussi grands que des arbres. Cette forêt de cardones constituait une précieuse ressource pour les Atacameños: avec le squelette des cactus, un bois ornemental percé de trous, ils fabriquaient les portes des maisons et des églises, tandis que leurs fleurs aux propriétés hallucinogènes étaient utilisées lors de rituels chamaniques.


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CHAQUE ANNÉE, C'EST LA FÊTE DANS LES RUES D'AYQUINA. AU DÉBUT DU MOIS DE SEPTEMBRE, ON Y CÉLÈBRE LA VIERGE DE GUADALUPE, SAINTE PATRONNE DU DÉSERT D'ATACAMA. PHOTO LAURENT FABRE


Le lendemain, la barre monte d'un cran: direction El Tatio, à 4 300 mètres d'altitude. Avec ses 80 geysers, cette vaste zone géothermale s'étire au pied d'un volcan que les Atacameños appellent « grand frère »… Le spectacle se mérite: il faut se lever au milieu de la nuit pour voir les nasaux de la terre fumer avec panache. Aux premières lueurs du jour, les nuages de vapeur prennent toute leur ampleur dans l'atmosphère glaciale du petit matin (- 10 °C tout de même). Emmitouflé, on marche dans ce paysage féerique de fumerolles blanches, accompagné par le bruit sourd et vivant de l'eau qui gronde sous terre, jaillit et se dissipe dans les airs.


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PHOTO LAURENT FABRE 
Sur la route du retour d'El Tatio, impossible de manquer Machuca, petit village de carte postale perché à 4 000 mètres d'altitude. Une douzaine de maisons s'étirant au creux d'un vallon, dominées par une église solitaire. Une vieille Indienne à la peau parcheminée vend des bouquets de rica-rica, buisson évoquant le thym, devant sa maison. Une autre, quelques pièces d'artisanat: des pulls en laine d'alpaga et des petits bonnets andins colorés. Une buvette permet de se restaurer de petits beignets au fromage et des fameuses brochettes de lama. Les quatre habitants du village sont parents de Joel Colque Urello, l'un des jeunes et fringants guides de l'Alto Atacama. Son look de surfeur aux cheveux noirs de jais ne laisse pas deviner qu'il a grandi dans ce minuscule hameau jusqu'à l'âge de 7 ans. Joel raconte, encore fasciné, le rituel qu'accomplissait son grand-père pour le Nouvel An, une fête célébrée chez les peuples amérindiens le jour du solstice d'hiver (en juin dans l'hémisphère Sud). Avant l'aube, toute sa famille montait au sommet d'une colline, accompagnée d'un lama ou d'un mouton au pelage blanc. «Avec respect, mon grand-père sacrifiait la bête et présentait le cœur encore palpitant au Soleil, se souvient Joel. Toute la famille retenait son souffle car seulement si le cœur battait trois fois ou plus, l'année serait bonne.»


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CONSTRUITE AU XVIIE SIÈCLE, L'ÉGLISE DE SAN PEDRO SERAIT L'UNE DES PLUS ANCIENNES DU CHILI.
PHOTO LAURENT FABRE 

Toutes ces excursions sont également proposées par l'Awasi. Mais le motto de ce petit Relais & Châteaux est de faire vivre à chaque hôte des expériences exclusives. Les moyens sont à la hauteur de l'ambition: un guide personnel, un 4 x 4 et un chauffeur sont dédiés à chaque chambre. Situé au cœur du village de San Pedro, l'Awasi ne compte que huit chambres et suites, bâties en adobe avec un toit couvert de paille. L'architecture de l'hôtel s'inspire des huttes du village antique de Tulor, un site archéologique voisin remontant à plus de 2 000 ans. Un grand portail en bois ouvre sur un monde raffiné. A notre arrivée, les bagages disparaissent en un battement de cils, une boisson fraîche est offerte sur un plateau tandis qu'une théière fumante et des petites douceurs nous attendent dans la chambre. Le velouté des murs, le mobilier en bois simple et élégant, confèrent un sentiment d'harmonie avec le désert qui se prolonge dans la cour privative lorsque l'on prend une douche en plein air. Ouverts, le restaurant et les coins canapés sont réchauffés la nuit par des feux de cheminée et des braseros. Minitartare de bœuf sur une chips de patate douce, chaud-froid de soupe au maïs et à l'avocat, carré d'agneau de Patagonie: le chef met en valeur dans une cuisine quasiment gastronomique les produits du terroir chilien…

LE DÉSERT DE L'ATACAMA DÉROULE DES PAYSAGES À COUPER LE SOUFFLE.
LA VALLÉE ARC-EN-CIEL OFFRE UN FEU D'ARTIFICE AUX COULEURS ÉCLATANTES.
PHOTO LAURENT FABRE

Chaque guide transporte l'expérience d'Awasi au milieu du désert. Haut perchés dans l'Altiplano andin, sur la route qui mène en Argentine, se cachent des salares aux couleurs irréelles. Entouré de volcans roses, ocre et noirs, le salar de Talar étire ses nappes d'eau bleu glacier entre les croûtes de sel et de neige. En bordure, une source d'eau chaude fait fleurir algues et herbes. Vigognes, flamants roses et oies andines s'y ébattent. On se promène avec le sentiment d'être seul au monde dans cette vision du paradis. Pendant ce temps, notre guide dresse une table pour un pique-nique royal. Et c'est ainsi que poulet au bacon, salade de quinoa, saumon fumé et meilleurs vins chiliens se dégustent dans un tête-à-tête grandiose avec le désert.