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vendredi 18 juillet 2014

LA SECONDE MORT D’ALLENDE

Layera n’est pas le premier ni le dernier à tirer sur les idoles. Ainsi, dans sa pièce Borges, Rodrigo Garcia imaginait le vieil écrivain argentin aveugle transformé en viande hachée et servi dans les stands à saucisse installés autour du stade de la Bombonera, le siège du club de foot de Boca Juniors. On ne peut pas non plus faire grief à Marco Layera, né en 1977, de vouloir, comme beaucoup d’artistes de sa génération, interroger un passé lourd à porter, quitte à renverser la statue du bon vieux docteur démocrate, héros et martyr au service du peuple.

Jargon. Son spectacle démarre sur une idée forte. Salvador Allende (Rodolfo Pulgar, irréprochable) est en train de prononcer son dernier discours, le 11 septembre 1973, alors que les tanks encerclent déjà le palais de la Moneda. Mais la scène est doublement fictive : nous sommes sur un plateau de télévision d’aujourd’hui et les ministres d’Allende sont des pros de la com en train de tourner une pub. Le violent décalage entre le jargon d’aujourd’hui et le discours politique - et tragique - d’il y a quarante ans est une piste possible, que le spectacle n’approfondit pas. Il opte plutôt pour une sorte de surenchère provocatrice largement factice. Les acteurs montent dans les gradins pour demander aux spectateurs de verser l’argent nécessaire à l’éducation d’un jeune chômeur. Une actrice se fout à poil devant un spectateur. «Pourquoi vous voulez pas donner ? Vous voulez que je vous suce ?»

Il s’acharne aussi, en termes orduriers, sur des cibles plus faciles qu’Allende : le pape, Marine Le Pen et Benyamin Nétanyahou n’ont, cela tombe bien, pas beaucoup de défenseurs dans la salle. De ce bordel surnagent quelques morceaux de bravoure - les ministres, après avoir piqué la coke d’Allende, se lancent dans une hilarante danse de Saint-Guy. On exagère ? Non, Marco Layera le dit lui-même dans l’interview publiée dans le programme. «Ce rêve [la présidence Allende, ndlr] valait-il la peine en regard de dix-sept ans de dictature et de violence ? […] Cette utopie était-elle possible dans notre pays ? Ou n’a-t-elle été que le caprice d’un président bourgeois ?» (sic).

Ozone. Marco Layera devrait aller plus loin : s’il n’y avait pas eu Allende, il n’y aurait non seulement pas eu Pinochet, mais pas non plus de 11 Septembre, ni de guerre en Irak ou de trou dans la couche d’ozone. Sans Robespierre, pas de Napoléon, et sans Commune de Paris, pas de guerre de 14-18, etc. En somme si l’histoire n’existait pas, il n’y aurait pas autant de souffrances. Au crétinisme politique, Layera joint, sans surprise, la leçon de morale pour conclure : la marionnette d’une jeune femme atrocement torturée sous Pinochet vient demander des comptes à Allende. Juste avant le salut et les applaudissements. Ou le gros malaise.

La Imaginacion del futuro de et m.s. Marco Layera cloître des Carmes, 22 h, jusqu’au 25 juillet (relâche le 20).