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mercredi 7 mai 2014

OLYMPE DE GOUGES : UNE FEMME CONTRE LA TERREUR





Comme l'histoire est assez ingrate avec certains de ses « grands hommes », la pionnière Olympe de Gouges a dû subir une injustice supplémentaire : celle qui osa écrire, en 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, acte fondateur d'un féminisme qui ignorait encore son nom, fut reléguée aux oubliettes par... les féministes. Quand elle ne fut pas considérée, au mieux, comme une courtisane par l'écrivain Restif de la Bretonne, qui la classa dans sa liste des prostituées de Paris, elle passa, au pis, pour une malade mentale, une « folle » selon l'historien Jules Michelet, une hystérique atteinte de paranoïa reformatoria (folie réformatrice) pour le Dr Guillois, docteur du service de santé des armées, auteur, en 1904, d'une étude consacrée aux femmes de la Révolution. 

Jusqu'à ce que l'historien Olivier Blanc, en 1981, vienne l'extirper de cet injuste oubli avec une biographie fouillée et fort documentée, Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle. Et qu'Anne Hidalgo, la première adjointe au maire de Paris et candidate à la succession de Bertrand Delanoë en 2014, propose de la faire entrer au Panthéon. La patrie est toutefois aussi sexiste que lors de la conversion du monument d'église en caveau de la République, à l'occasion de la mort de Mirabeau, en 1791. En 2013, sur 71 personnalités à reposer sous la coupole, seules deux femmes y sont enterrées : Sophie Berthelot et Marie Curie. Et encore, pour de mauvaises raisons : afin d'accompagner leurs maris dans l'éden démocrate. Comme si Sophie sans Marcellin ou Marie sans Pierre n'auraient jamais pu découvrir ni certains principes chimiques, ni la radioactivité... Las. 

Mais, avec Olympe de Gouges, c'est une tout autre histoire. Elle a eu, comme la philosophe et astronome Hypathie dans l'Alexandrie du IVe siècle, le tort d'être une personnalité hors normes, d'avoir une tête trop bien faite pour son temps, d'être en avance de quelques siècles. Pourtant, rien ne la prédestinait à penser et à vivre autrement que les femmes de son milieu. Cette petite provinciale de Montauban, née en 1748 des amours illégitimes d'un marquis, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, épicurien, ami des lettres et auteur d'une Didon qui en fit à jamais l'ennemi personnel de Voltaire, et d'une fille du peuple, Anne-Olympe Mouisset, aurait dû avoir la vie toute tracée - par l'Eglise - des femmes de la petite bourgeoisie de l'Ancien Régime. A savoir, comme l'a résumé Elisabeth Badinter dans l'Amour en plus, demeurer « une créature essentiellement relative. [La femme] est ce que l'homme n'est pas pour former avec lui, et sous son commandement, le tout de l'humanité ». 

Très peu pour Marie Gouze, qui, mariée à l'officier de bouche Pierre Aubry, contre son gré, à 17 ans, aussitôt mère, puis veuve à l'âge de 18 ans, décide d'être sa propre création. Les premiers actes d'indépendance de cette Occitane autodidacte, qui maîtrise mal le français, comme 90 % de la population d'alors : se forger un nom, écrire et ne plus se marier, car, comme elle l'écrira plus tard : « Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour. » Elle lui préférera un contrat social de l'homme et de la femme, préfigurant, avec plus de deux cents ans d'avance, le Pacs. Désormais, Marie Gouze ne sera pas la veuve Aubry mais Olympe de Gouges. Et cette Olympe-là est décidée à prendre sa revanche sur la vie, à rayonner dans les lettres et dans les idées. Aujourd'hui encore, l'aura de ses Ecrits politiques est plus importante en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon qu'en France. Tout juste si l'on compte quelques lycées et places portant son nom. Pourtant... 

Son destin transgressif est autant révélateur des blocages de son époque que du statut des femmes de son temps : considérées comme abritant aussi peu d'âme que les animaux, les frondeuses, ces politiquement incorrectes pleines d'espoir en la Révolution, finirent décapitées, comme Mme Roland, ou à l'asile, comme Théroigne de Méricourt, après avoir été fessée en place publique par une horde de sans-culottes. Car le paradoxe majeur de la Révolution française, fondée sur l'universalité du droit naturel, est qu'elle écarta des droits politiques et civiques la moitié de la société. 

Pour autant, les combats d'Olympe de Gouges au XVIIIe siècle ne font qu'anticiper tous ceux qui ont agité le XXe et continué d'enflammer ce début de XXIe : lutte contre la tyrannie et pour la justice sociale, combat contre la peine de mort, égalité hommes-femmes... Les activistes des Femen, emprisonnées en Tunisie en raison de leur soutien à la féministe Amina Sboui, ne disent pas autre chose. A leur manière, elles revendiquent, deux cent vingt ans plus tard, le mot d'ordre d'Olympe : « Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de vous en affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. » Et Olympe, éclairée par l'esprit des Lumières, savait de quoi elle parlait. 


Militantisme humaniste 

A son arrivée à Paris, elle rêve de théâtre. Introduite auprès des Comédiens du Français par la marquise de Montesson, épouse morganatique du duc d'Orléans, elle fonde une troupe. La première des 30 pièces qu'elle a écrites, Zamore et Mirza ou l'heureux naufrage, en 1785, traite d'un thème tabou, l'esclavage des Noirs. En critiquant le Code noir alors en vigueur, en osant aborder de manière frontale les problèmes du colonialisme et du racisme, la polémiste s'attire les foudres de la maréchaussée - la bataille d'idées vire au pugilat - et du maire de Paris, qui a tôt fait d'interdire la représentation. 

Olympe évite, pour la première mais pas la dernière fois, l'embastillement. Acte fondateur d'un militantisme humaniste et de l'urgence de l'instauration d'une égalité pour tous, Zamore et Mirza signe l'engagement qui sera celui de sa vie pour la reconnaissance des droits de tous les laissés-pour compte de la société (Noirs, femmes, enfants illégitimes, démunis, malades...). Olympe et son théâtre engagé dérangent. Mais ce sont ses brochures politiques et, plus tard, ses affiches, imprimées à son compte et placardées dans tout Paris, qui signeront son arrêt de mort. 

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791 
 

SOURCE GALLICA 
Les femmes avaient joué un rôle décisif dans le processus révolutionnaire ; la République établie, c'est tout naturellement qu'elles devaient s'abstenir de « politiquer » pour rejoindre leur foyer afin de réconforter ses combattants. Ainsi, le 30 octobre 1793, la Convention déchoit les Françaises de leur statut de citoyennes, accordé par la Législative. Deux ans auparavant, dans l'article I de sa Déclaration des droits de la femme, dédiée à la reine Marie-Antoinette, Olympe de Gouges osait écrire : « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. » En vain. Il leur faudra désormais attendre 1945 pour obtenir enfin le droit de vote ainsi que celui de « monter à la tribune », après avoir eu celui de « monter à l'échafaud ». 

DÉCLARATION DES DROITS DE LA
 FEMME ET DE LA CITOYENNE, 1791

SOURCE GALLICA 
Mais, en 1788, Olympe croit encore qu'elle peut exercer sa citoyenneté au féminin. Dans le Journal général de la France, elle publie sa « Lettre au peuple », un projet de caisse patriotique par une citoyenne, le premier de ses pamphlets politiques où, s'adressant au roi Louis XVI, elle propose l'instauration d'un impôt volontaire pour endiguer la pauvreté. Une première : «L'homme de la halle, ainsi que la femme de charge, éprouveraient une satisfaction sans égale de voir leur nom à côté de celui d'un prince de sang », conclut-elle, anticipant de cent-vingt six ans la création, en 1914, de l'impôt sur le revenu. Olympe va même plus loin. 

Toujours dans le Journal général de la France, comprenant l'importance de la presse dans l'opinion publique, elle fait part, en décembre 1788, de ses « Remarques patriotiques », un programme de réformes sociales qui imagine une assistance sociale, des centres de soins et d'accueil pour les veuves, les vieillards et les orphelins, des ateliers d'Etat pour les ouvriers sans travail et un impôt, sorte d'ISF avant l'heure, sur les signes extérieurs de richesse (nombre de domestiques, de propriétés, d'œuvres d'art...). 

S'ensuivront des dizaines de brochures et d'affiches où elle milite, entre autres, pour le droit au divorce, la recherche de paternité, la création de maternités, la féminisation des noms de métier, le système de protection maternelle et infantile... Des « élucubrations » qui ne seront mises en place qu'au... XXe siècle, et qu'on attendait si peu de la part d'une femme de son milieu. Même Mirabeau en convient : « Nous devons à une ignorante de bien grandes découvertes. » 

Œuvre de salut public 

Son modernisme extravagant va de pair avec une folle lucidité et une dévastatrice ironie, que ne renient ni notre temps ni les mordantes Sophia Aram d'aujourd'hui. Ainsi déclarait-elle, dans sa « Lettre aux représentants de la nation », en 1789 : « Les uns veulent que je sois aristocrate ; les aristocrates, que je sois démocrate. Je me trouve réduite, comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre demandait, à son dernier soupir : "Etes-vous moliniste ou janséniste ?" "Hélas, répond le pauvre moribond, je suis ébéniste." Comme lui, je ne connais aucun parti. Le seul qui m'intéresse vivement est celui de ma patrie, celui de la France... » 

ÉCOLE FRANÇAISE DU XVIIIE SIÈCLE, PORTRAIT DE MAXIMILIEN ROBESPIERRE, MUSÉE CARNAVALET.
MAXIMILIEN ROBESPIERRE
SOURCE WIKIPÉDIA
Ou déclarait-elle à une troupe armée venue prendre sa tête pour 24 sous, après qu'elle se soit proposée, au nom de son combat pour l'abolition de la peine de mort, comme avocate du citoyen Louis Capet : « Mon ami, je mets la pièce de 30 sous et je vous demande la préférence. » Louis XVI perdit sa tête le 21 janvier 1793. Sauvée par son humour, elle garda la sienne. Pour quelques mois seulement. Car, à la suite du collage dans Paris d'une affiche signée Polyme, l'anagramme d'Olympe, conspuant Robespierre, l'artisan de la Terreur, en des termes inadmissibles pour l'« ami du peuple » - « Tu te dis l'unique auteur de la Révolution, Robespierre ! Tu n'en fus, tu n'en es, tu n'en seras éternellement que l'opprobre et l'exécration... Chacun de tes cheveux porte un crime... Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui du peuple ? » -, Olympe de Gouges, « royaliste constitutionnelle », récidive. 

Elle fait imprimer, le 20 juillet 1793, une affiche bordée de rouge intitulée « Les trois urnes ou le salut de la patrie », où elle ne demande rien de moins que le droit au référendum des Français sur leur futur gouvernement. A charge pour les citoyens de préférer la monarchie, le fédéralisme ou la République. Accusée de remettre en cause le principe républicain, la Girondine est inculpée par le Tribunal révolutionnaire le 2 novembre. L'accusateur Fouquier-Tinville plaide « l'attentat à la souveraineté du peuple ». La cause sera vite entendue. Marie-Olympe de Gouges, veuve Aubry, 45 ans, est condamnée à la peine de mort. La sentence sera exécutée vingt-quatre heures plus tard. La semaine suivante, un commentaire paru dans le Moniteur universel, journal de propagande montagnarde, montre l'étendue de son crime : « Elle voulut être homme d'Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »

Ce 3 novembre 1793, vers 17 heures, en montant à l'échafaud, place de la Révolution, l'actuelle place de la Concorde à Paris, Olympe de Gouges s'écrie : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! » A quelques mois de la célébration du 65e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, osera-t-on enfin rendre justice à cette ennemie de toutes les exclusions, à son œuvre de salut public ? Allez, messieurs les Elus républicains, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace... 


TROIS DATES 

7 mai 1748 

Naissance de Marie Gouze, à Montauban. Elle est la fille adultérine d'Anne-Olympe Mouisset et de l'homme de lettres Jean-Jacques Lefranc de Pompignan. Son père «officiel», Pierre Gouze, un boucher, n'a pas signé l'acte de baptême, ce qui accrédite la thèse du député Jean-Baptiste Poncet-Delpech selon laquelle «tout Montauban» savait que le père naturel de la future Olympe de Gouges était l'auteur de la pièce de théâtre Didon. 

Septembre 1791 

La publication de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, où Olympe de Gouges prône l'émancipation féminine via l'égalité des sexes, est un véritable brûlot. Révolution au cœur même de la Révolution, ce texte, dédié à la reine Marie-Antoinette, la «première des femmes», engage la République à considérer la femme comme une citoyenne à part entière. 

3 novembre 1793 

Arrêtée en juillet 1793 pour avoir violemment interpellé Robespierre dans un texte intitulé «Les trois urnes», Olympe de Gouges est condamnée à mort. Celle qui avait affirmé que, si une «femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune», subira le «rasoir national» avec une dignité qui impressionnera la foule massée sur l'actuelle place de la Concorde.



À LIRE 

Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle,  d'Olivier Blanc, Editions René Viénet. 

Ainsi soit Olympe de Gouges, de Benoîte Groult, Grasset. 

Olympe de Gouges, de Cate&Bocquet, Casterman Ecritures.