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dimanche 13 avril 2014

LES DISPARUS DE LA DICTATURE DÉVISAGENT LE CHILI.

FRAGMENTS DU MUR DE LA MÉMOIRE  À SANTIAGO DU CHILI.  PHOTO ANÍBAL JOFRÉ.


A Santiago, une fresque photographique rassemble les portraits de 900 détenus éliminés sous Pinochet.Santiago du Chili


Le Mur de la mémoire ressemble à un album de famille pour Ana Gonzalez. Il réunit les photos de son mari, de deux de ses fils et de sa belle-fille. «Il en manque même une cinquième, celle de l'enfant que ma belle-fille portait en elle au moment de sa détention», explique Ana, très émue à la vue de cette immense fresque photographique. Inaugurée il y a une dizaine de jours à Santiago du Chili, cette oeuvre est constituée de 908 portraits de détenus toujours portés disparus de la dictature d'Augusto Pinochet. Des espaces ont été laissés libres, afin de pouvoir ajouter ultérieurement 284 photos encore manquantes.

DES SURFACES DU MUR EXPOSÉES À L' DÉTÉRIORATION 
DES VISAGES PAR L'
INTENSE SOLEIL D'APRÈS-MIDI. 
PHOTO ANÍBAL JOFRÉ.

Durant près de deux ans, les photographes chiliens Claudio Perez et Rodrigo Gomez ont recherché les photos de quelque 1 200 victimes. Ils ont fouillé les archives de plusieurs associations de défense des droits de l'homme et contacté les familles des détenus afin d'obtenir une photo. Tous ces clichés ont été reproduits sur des carreaux de céramique protégés par un enduit spécial. Une immense galerie de portraits qui a ensuite été installée sur la paroi en brique rouge d'une passerelle située à côté du pont Bulnes, dans un quartier populaire de la capitale chilienne.

Exécutions. Le choix de ce lieu est symbolique. Face à ce Mur de la mémoire a été exécuté en septembre 1973 le prêtre espagnol Joan Alsina. Quatorze personnes ont connu le même sort quelques semaines plus tard. Et une vingtaine de mètres séparent cette fresque photographique de la rivière Mapocho, dans laquelle ont été jetés les cadavres de nombreux opposants pendant la dictature.

LECTURE DES IMAGES DU MUR DE LA MÉMOIRE, 
ALTERNÉ ENTRE  OMBRE ET LUMIÈRE. PHOTO FELIPE PINO.
Ce projet est inspiré d'une installation similaire en Italie, sur le campanile de la Ghirlandina, à la mémoire des habitants de Modène victimes des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Créateur du mur chilien, Claudio Perez a tenu à mettre un visage sur ces centaines de victimes. Beaucoup d'entre elles apparaissent dans des scènes anodines: en train de faire du vélo, de partager un repas ou en maillot de bain. Des photos qui évoquent la vie et renforcent ainsi le drame vécu depuis plus d'un quart de siècle par plusieurs centaines de familles chiliennes.

Soutenu par le Fonds de développement des arts et de la culture (Fondart), ce projet artistique est une première au Chili. Il existe certes déjà un monument à la mémoire des détenus disparus, au cimetière général de Santiago. Mais il s'agit d'une liste de noms qui ne possède pas la force de cette mosaïque. La jeunesse de certains visages ne peut qu'interpeller les passants. Ordonnée par date de détention, de septembre 1973 à novembre 1989, cette galerie réunit les portraits de centaines d'hommes, de femmes et d'enfants opposés à l'instauration d'une dictature au Chili.

« RATTRAPAGE D'UN REGARD ».  
PHOTO NICOLAS VERDEJO.
Photos épinglées. Pendant des années, leurs disparitions ont été niées par le régime militaire. Leurs proches avaient alors décidé d'épingler sur leurs vêtements les photographies de ces disparus à l'occasion de chacune de leur manifestation. Des clichés qui, pour la première fois, sont réunis. Et tous ces regards pèsent lourdement sur un pays incapable de soigner cette blessure du passé.

PHOTOS