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mardi 6 novembre 2012

PIÑERA, LE PRÉSIDENT MILLIARDAIRE



MÓNICA MADARIAGA GUTIÉRREZ (SANTIAGO, 25 JANVIER 1942 - 8 OCTOBRE 2009) FUT UNE AVOCATE, ET UNE POLITIQUE CHILIENNE, DEUX FOIS MINISTRE (MINISTRE DE LA JUSTICE PUIS MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE 1977 – 1983) DE LA DICTATURE MILITAIRE DE DE SON COUSIN AUGUSTO PINOCHET, QUI A GOUVERNÉ LE PAYS ENTRE 1973 ET 1990.

On l'appelle « la Locomotive ». A 61 ans, sa fortune est évaluée à 1,2 milliard de dollars par la revue Forbes. Sa chance a été de se lancer dans les affaires pendant la dictature militaire du général Augusto Pinochet (1973-1990). A l'époque, en 1976, il rentre des Etats-Unis, où il a fait des études d'économie à Harvard.

Son frère aîné, José Piñera, est ministre du travail et fait partie des « Chicago Boys », ces économistes ultralibéraux qui ont façonné le modèle économique du pays. « Le miracle chilien », selon les termes de leur chef de file, l'Américain Milton Friedman. A la fin de la dictature, beaucoup de Chicago Boys se sont reconvertis à la tête d'entreprises qu'ils avaient eux-mêmes privatisées.

« SYMBOLE DE LA RÉUSSITE »

« M. Piñera est le symbole de la réussite pour beaucoup de Chiliens, qui pensent qu'il insufflera ses succès à la société », note le sociologue Eugenio Tironi. « Le Chili n'a pas besoin d'un manageur mais d'un président », a vainement plaidé pendant la campagne électorale son rival malchanceux, l'ex-président démocrate-chrétien Eduardo Frei (1994-2000).

Les cheveux d'un blanc éclatant, toujours bronzé, toujours souriant, Sebastian Piñera collectionne les chemises en soie, les costumes et les souliers italiens, faits sur mesure. Il a toutefois laissé de côté ses goûts de luxe pendant la campagne, se montrant en jean et chemise blanche mais gardant à son poignet droit une montre Cartier d'un rouge éclatant. Il a été baptisé « le Berlusconi chilien ».

Ancien fonctionnaire de la Banque mondiale et de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), Sebastian Piñera a été sénateur de 1990 à 1998. Il est marié à Cécilia Morel, une blonde et exubérante quinquagénaire, adepte de la chirurgie esthétique, qui a défrayé la chronique en racontant que, pour faire des économies, la famille Piñera ne buvait plus de Coca-Cola. Elle a confié, également, qu'elle devait demander son argent de poche à son mari et qu'elle aime aller à Paris « de temps en temps, pour être un peu seule et ne plus vivre la vie de Sebastian ».

Le couple a quatre enfants, trois petits- enfants, tous blonds et souriants. Seule ombre au tableau familial : le frère cadet du président élu, Miguel Piñera, est un musicien aux allures de rocker, marié à une pulpeuse Argentine. Les scandales dans les boîtes de nuit dont il est propriétaire alimentent les revues people. Il n'est pas apparu pendant la campagne.

Le premier succès de M. Piñera a été l'introduction, en 1979, des cartes de crédit au Chili, un marché dont il détient 86 % des actions. Il a investi dans l'immobilier, les pharmacies et les systèmes privés de santé. Il contrôle la compagnie aérienne Lan Chile, privatisée par la dictature militaire. Il est également le propriétaire du populaire club de football Colo Colo et de la chaîne de télévision Chile Vision.


Il a vaguement promis de se défaire de quelques-unes de ses entreprises s'il devenait président. La possible collusion entre ses activités d'homme d'affaires et ses responsabilités de chef d'Etat a été dénoncée par Eduardo Frei, qui a évoqué les scandales financiers qui ont éclaboussé M. Piñera. Il a été condamné, en 2007, à payer une amende de 670 000 dollars après avoir acheté des actions de Lan, la veille de la publication par la compagnie d'aviation d'une hausse de 31 % de ses bénéfices qui avait fait grimper la valeur de ses actions.

En juillet 2009, une ancienne ministre de la justice de la dictature, Monica Madariaga, a confessé avoir fait pression sur des juges pour que Sebastian Piñera ne soit pas poursuivi pour des irrégularités financières commises dans les années 1980 par une banque, Banco de Talca, dont il était le gérant. Cette fraude d'un montant de 240 millions de dollars serait à l'origine de la fortune de M. Piñera, selon ses détracteurs. Le nouveau président, qui prendra ses fonctions le 1er mars, dénonce « une persécution politique ».

SOIF DE CHANGEMENT

Les politologues expliquent l'élection de M. Piñera par le désir d'alternance des Chiliens, déçus par la Concertation de centre gauche, au pouvoir depuis vingt ans, depuis le retour de la démocratie. Une soif de changement qui s'est exprimée par les 20% de voix obtenues au premier tour par le jeune candidat indépendant Marco Enriquez-Ominami, dissident socialiste qui a durement critiqué la Concertation. « Sebastian Piñera est parvenu à incarner une droite qui ne fait plus peur », estime la sociologue Marta Lagos.

Son principal atout est de s'être démarqué de la droite traditionnelle qui a soutenu la dictature. Il a voté « non » au plébiscite de 1988 par lequel le général Pinochet avait tenté de se maintenir au pouvoir. Il avait déjà bouleversé la donne à droite, en 2005, en devançant son rival de la très conservatrice Union démocrate indépendante (UDI), Joaquin Lavin, au premier tour de la présidentielle. Il avait perdu au second tour face à la socialiste Michelle Bachelet. Cela étant, M. Piñera arrive au pouvoir grâce à son alliance avec l'UDI qui a soutenu le régime militaire.


Pilotant lui-même son hélicoptère, Sebastian Piñera est un grand sportif, qui organise des matchs de foot avec son équipe de campagne. « Nous représentons le futur, le progrès, l'espérance et la joie », a-t-il scandé. Affirmant être le tenant d'une droite « moderne et modérée », il dit partager des valeurs proches de celles de la démocratie chrétienne, une famille politique dont il est issu.

Son père a été ambassadeur en Belgique et aux Nations unies sous la présidence du démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva (1964-1970), le père de son rival. Il cite comme modèles de gouvernants latino-américains le conservateur mexicain Felipe Calderon, mais également le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et la présidente socialiste sortante, Michelle Bachelet.

Aucun des deux candidats à la présidence n'a remis en cause le modèle économique qui est donné en exemple en Amérique latine. Sebastian Piñera a séduit une classe moyenne frappée par la crise économique et les laissés-pour-compte du « miracle chilien »  Il a sillonné le pays, haranguant les foules, comme un prédicateur. Il a transmis un message optimiste : « Je suis le moteur du changement populaire. »

« Dans la vie, il faut avoir les pieds sur terre, regarder le présent mais avec les yeux tournés vers le ciel, qui est le futur », a-t-il lancé au cours d'une visite à Quilicura, un quartier populaire de Santiago, où la drogue et l'alcool font des ravages parmi les jeunes. Il a fait de nombreuses promesses : création d'un million d'emplois, construction de dix nouveaux hôpitaux et de 600 000 logements, connexion à Internet de toutes les écoles du pays.

Il a promis d'obtenir un taux de croissance annuelle de 6 % par le biais d'avantages fiscaux et d'une réforme du droit du travail. Il s'est engagé à lutter contre l'insécurité, une préoccupation croissante des Chiliens. Sebastian Piñera a quatre ans pour démontrer qu'il peut faire mieux que ce qu'a construit la Concertation en vingt ans.

Christine Legrand