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jeudi 10 décembre 2009

A Santiago du Chili, les filles du bidonville de La Pintana sont mères dès 14 ans

Le Chili est un des derniers pays au monde où l'avortement, même thérapeutique, est interdit. On estime à 160 000 le nombre d'avortements clandestins par an. "15 % des enfants qui naissent au Chili ont des mères adolescentes et la grande majorité sont pauvres", dénonce Gloria Maira, de l'Association chilienne contre la violence domestique et sexuelle. Cette ONG a été fondée il y a vingt-cinq ans, en pleine dictature militaire du général Augusto Pinochet (1973-1990). La féministe pointe que "dans les milieux défavorisés, une jeune fille sur cinq de moins de 19 ans a déjà un enfant, contre une sur trente dans les classes aisées". Elle constate que "les plus riches ont recours à des IVG dans des cliniques privées, qui les déguisent en appendicite".

A quelques jours de l'élection présidentielle du 13 décembre, la cause des femmes a été absente du débat électoral. "Un grand pas a été franchi avec l'élection de Michelle Bachelet, première femme chef d'Etat du Chili", note Consuelo Cheyre. Cette journaliste rappelle que, au début du mandat de Mme Bachelet, en 2005, "tous les hommes politiques, même ceux de la Concertation de centre gauche au pouvoir, avaient mis en doute ses capacités à gouverner à cause de sa condition féminine". Aujourd'hui, la présidente sortante bénéficie de 76 % de popularité. Un chiffre record dans l'histoire politique chilienne qui s'explique, en partie, par l'aide financière apportée aux plus pauvres grâce aux excédents obtenus par les exportations du cuivre, principale richesse du pays.

Divorcée et agnostique, dans un pays conservateur où l'Eglise catholique est puissante - le divorce est légal depuis seulement 2004 -, la présidente socialiste s'est battue pour améliorer la condition féminine. Les femmes au foyer ont obtenu, à partir de 65 ans, une retraite de 81 euros par mois. Le nombre de crèches a été multiplié par cinq, contribuant à élever le taux d'emploi des femmes de 38,5 à 42 %.

Le Chili a promulgué, en juin, une loi garantissant l'égalité salariale hommes-femmes pour un même emploi, avec un possible recours à la justice en cas de discrimination. Pour l'instant, pour un même poste, les femmes gagnent 30 % de moins qu'un homme. Elles ne sont que quatre ou cinq dans les directoires d'entreprises publiques ou privées. Les lesbiennes et les gays se disent discriminés, le mariage homosexuel est interdit.

Mme Bachelet a perdu plusieurs batailles. La parité entre hommes et femmes, instaurée au sein de son gouvernement, n'a duré qu'un an. Dès les premières critiques, deux femmes ministres ont dû partir. Un plan ambitieux de planification familiale en faveur des défavorisés a échoué. La présidente, pédiatre de formation, avait décrété, en 2006, que la pilule du lendemain serait distribuée gratuitement aux adolescentes dès 14 ans, sans autorisation parentale.

Le tribunal constitutionnel a interdit cette mesure après une virulente campagne de l'Eglise catholique. "Alors que 4 % des jeunes filles de 14 ans sont actives sexuellement, il est du devoir de l'Etat de leur fournir une alternative d'urgence qui ne soit ni l'avortement ni la grossesse", avait plaidé Mme Bachelet, qui termine son mandat le 1er mars.

"Depuis vingt ans au pouvoir, la Concertation démocratique a manqué de volonté politique en matière d'éducation sexuelle", reproche Claudia Dides de la Faculté latino-américaine de sciences sociales. 60 % des jeunes Chiliens n'utilisent aucune méthode contraceptive.

"Le problème ne sera pas réglé par une loi", affirme Andrea Iniguez, avocate du groupe Pro Vida, pour qui la pilule du lendemain est résolument abortive. "Toutes les lois doivent se soumettre à la Constitution. Or, au Chili, elle protège la vie de celui qui va naître, prévient l'avocate, rappelant que, pour consacrer l'avortement, le gouvernement devra réaliser une réforme constitutionnelle." Peu probable : malgré une centaine de réformes, les piliers de la Constitution de 1980, dictée par le général Pinochet, sont toujours solidement en place pour garantir le modèle libéral chilien.

Christine Legrand