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mercredi 11 février 2009

"L'impunité du régime de Pinochet renvoie à l'impunité du personnage de mon film"

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Tony Manero est son deuxième film. Après l'Argentine et le Mexique, cette belle découverte chilienne confirme l'émergence d'un jeune cinéma latino-américain qui remet sur le métier, selon une esthétique nouvelle, la question politique.

Votre film est-il le signe d'un renouveau du cinéma d'auteur au Chili ?

Il y a au Chili un renouveau du cinéma tout court, et dans toute sa diversité. Voilà vingt ans, il n'y avait qu'une école de cinéma dans le pays. On en compte huit aujourd'hui. Durant les années les plus dures de la dictature de Pinochet, nos meilleurs cinéastes sont partis en exil, à l'image de Raoul Ruiz. Le problème vital pour la jeune génération qui grandit sous la démocratie, c'est de sortir de cet isolement. Sur la vingtaine de films produits chaque année, seuls un ou deux trouvent le chemin de l'exportation. Vous savez, un de nos grands poètes, Nicanor Parra, a écrit : "Le Chili n'est pas un pays, il n'est qu'un paysage." Je crois que si un art peut changer cet état de fait, c'est bien le cinéma.

L'Etat est-il impliqué dans cet effort ?

Trop peu. Des aides existent, qui augmentent chaque année et vont dans le bon sens, mais nous sommes encore très loin de la politique cinématographique argentine. Cela tient au modèle économique du pays, entièrement acquis au libéralisme. Tout fonctionne avec des fonds privés au Chili, même la télévision publique.

Sans l'aborder frontalement, votre film évoque les années de la dictature. Comment a-t-il été perçu au Chili ?

Je crois que, pour les Chiliens, les signes sont explicites. L'impunité du régime de Pinochet renvoie à l'impunité du personnage que je décris dans mon film. Il y a une tension réelle entre les deux et le public l'a bien compris. Le film n'a d'ailleurs pas mal marché pour ce type de cinéma, puisqu'il a dépassé les 60 000 entrées.

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Cette approche indirecte et très stylisée de la question politique vous rapproche d'autres jeunes réalisateurs latino-américains. Peut-on considérer vos oeuvres à tous comme un ensemble ?

C'est à mon avis pertinent. Certes, les pays sont très différents, mais il y a de puissants motifs qui traversent l'histoire du continent. Le rapport aux Etats-Unis, la violence et l'aliénation politiques, les questions sociales qui demeurent toujours aussi brûlantes.

Mais le rapport des jeunes réalisateurs à ces questions ne s'exprime plus par le cinéma militant qui était celui de nos aînés. Il passe par des histoires qui sont généralement dépourvues d'artifices, mais dont le point de vue se veut extrêmement sophistiqué.

J'ai la plus vive admiration pour le cinéma du Mexicain Carlos Reygadas, ou de l'Argentine Lucrecia Martel. Le premier film qu'elle a réalisé, La Cienaga, constitue pour moi la matrice d'un jeune cinéma latino-américain qui, comme le cinéma asiatique depuis une vingtaine d'années, a trouvé son paysage mental.

Propos recueillis par Jacques Mandelbaum